Gilets jaunes Acte 21 – Blocage de l’A709 et manif très encadrée à Montpellier

Gilets Jaunes Acte 21 – Montpellier, blocage de l’autoroute et fin de manif très encadrée © La mule du pape

6 avril 2019, 14h – Place de la Comédie, à Montpellier, comme tous les samedis. Plus d’un millier de personnes se réunit sous une pluie battante pour l’acte 21 de la mobilisation des gilets jaunes. Moins de gilets couverts de revendications, moins de pancartes que d’habitude : tout le monde est emmitouflé dans son imperméable car en plus, il fait froid… Les manifestants se mettent lentement en branle après une petite demi heure de patience, et commencent à sillonner les rues du centre-ville. Quelques drapeaux flottent dans le vent frais. Un court passage devant la Préfecture pour saluer les CRS, avant de descendre le boulevard du Jeu de Paume où le cortège s’épaissit peu à peu, alors que la pluie se met à balbutier. On passe devant la gare dire bonjour à d’autres CRS et à la Compagnie départementale d’intervention (CDI 34), avant de s’engager dans la rue de la Méditerranée.

C’est toujours la même ambiance qu’à l’accoutumée, les mêmes chants et les mêmes slogans. Avec une participation réduite par le mauvais temps, ce sont des visages et des voix presque habituels que l’on retrouve. Sur l’avenue de Palavas, des danses s’improvisent au milieu des notes de trompette alors que le cortège est mené par la banderole de tête. Après quelques débats et tergiversations qui finiront par décourager une partie des manifestants, le cortège file jusqu’au rond-point des Près d’Arènes, non sans essuyer de nouvelles rafales pluvieuses, voire un semblant de grêle. S’y dresse la cabane des gilets jaunes du coin, où l’on s’empresse de filtrer quelques bagnoles sous les acclamations des klaxons. Les manifestants prennent le chemin de l’autoroute A709.

 © La mule du pape - Andrea Saulle

La scène est impressionnante. Plusieurs dizaines de personnes se précipitent au milieu de la chaussée, et les fameux gilets réfléchissants remplissent, une fois n’est pas coutume, leur office initial. Les voitures s’arrêtent petit à petit, même si on frôle l’accident sur la voie inverse. Mais déjà les klaxons retentissent dans des rythmes joyeux. Une fois la situation stabilisée, le trafic s’entasse dans un immense embouteillage à double sens. Des dizaines de personnes observent la scène depuis le pont en profitant d’un panorama privilégié et se prêtent à distance à des échanges de slogans et à une ola. On peut voir de petits groupes se créer autour des voitures, des gens descendre de leur véhicule et engager la conversation.

 © La mule du pape - Andrea Saulle
 © La mule du pape - Andrea Saulle

Parfois de petits esclandres, ou des urgences, à exfiltrer du bouchon en priorité. Peu à peu le blocage se transforme en barrage filtrant. Tout est géré presque naturellement par les gilets jaunes sous l’œil pantois de gendarmes parvenus à se rendre sur les lieux mais dont la présence demeurera presque observatrice. Un ou deux énervés de l’accélérateur ont pu faire peur à certains, mais il n’y a pas eu d’accident. L’action durera trois quarts d’heure. Lorsque les manifestants quittent l’autoroute, c’est dans une symphonie de klaxons que les voitures redémarrent.

Sur le retour, le ciel se montre plus clément et comme souvent ces derniers temps par le souffle du vent, se métamorphose progressivement. Sur le chemin du retour, seule la ronde impromptue d’un hélicoptère vient marquer la présence policière dans cette manifestation. Le cortège ragaillardi rejoint le centre-ville, où s’y agrègent de nouveaux gilets, avant de se masser sur la place de la Préfecture. Les slogans retentissent. Alors qu’on pouvait craindre le même scénario que d’habitude, avec un bloc, cette fois peu massif, qui se met à envoyer quelques pétards et bouteilles, une dispersion au gaz CS et l’éventuelle évolution de la manifestation en version “sauvage”, des meneurs entraînent la foule vers la rue Foch “avant que ça caillasse”. Après un parcours de plus de 10km, une grande partie des manifestants a disparu après ce dernier rassemblement. Un large ligne de gendarmes mobiles arrive de la place Jaurès, et sans aucune violence, se met à coller la queue de cortège.

 © La mule du pape - Andrea Saulle
 © La mule du pape - Andrea Saulle

La foule se masse devant le jardin du Peyrou, tandis que les gendarmes patientent sous l’arc de triomphe et interdisent le retour vers l’Écusson. Perpendiculairement, une ligne de CRS barre l’accès au Jeu de Paume. Depuis la banderole, deux bouteilles de bière viennent successivement s’éclater aux pieds de ceux-ci. La réaction des policiers ne se fait pas attendre, et une grenade lacrymogène à main est envoyée vers les manifestants, avant qu’un lanceur multi-coups ne se charge de les chasser vers le boulevard Henri IV par des tirs en cloche. C’est sous un temps franchement beau que la dispersion est ainsi engagée. Les gendarmes mobiles avancent immédiatement à la suite du cortège et viennent par un pas plutôt léger le seconder dans une longue promenade autour du centre-ville.

 © La mule du pape - Andrea Saulle

Déambulant le long du Verdanson, les manifestants sont successivement bloqués à chaque tentative de revenir vers l’Écusson, par des lignes de CRS ou de la CDI 34. C’est donc à nouveau une longue marche, un peu pressée par les gendarmes mobiles qui suivent toujours d’un pas ferme. On passe successivement par le Corum, la place de la Comédie sans succès, puis Antigone, le Quai Laurens, le boulevard de Strasbourg, les abords de la gare et le boulevard Berthelot. Mais toujours, des policiers qui bloquent l’issue, chaque fois qu’on tente de retourner vers le centre. Aucun incident ne se déroule, le cortège rebrousse chemin dès qu’il entrevoit des uniformes. Il ne se passe rien. Petit à petit, les manifestants comprennent la stratégie des forces de l’ordre, se découragent, et la manifestation à chaque nouvelle étape, s’éparpille et se réduit. Il reste quelques centaines de personnes qui tournent vers Rondelet, lorsque les agents de la CDI 34 dans une rapide course parsemée de quelques coups de matraque barrent à nouveau la route, mais cette fois de près, et forment une nasse que viennent compléter les gendarmes mobiles qui suivaient toujours ce qu’on ne peut plus vraiment appeler un cortège.

 © La mule du pape - Andrea Saulle

S’ensuit un petit moment d’hésitation, certains prennent la fuite vers le parking de la gare, la plupart se retrouve piégée dans la nasse. Dans les manifestants restants, il n’y a plus de black blocs, plus vraiment de meneurs de “l’ultragauche”, mais plus que ceux qu’on pourrait qualifier de gilets jaunes originels et qui voulaient tenir jusqu’au bout cette manifestation. Et des cadreurs, des photographes. Tous se demandent ce qu’il va se passer. Un habitant du quartier s’engraine avec les gendarmes, il est interpelé aussitôt. Les agents de la CDI34 demeurent impassibles une fois leur course terminée. Ce sont les gendarmes qui sont chargés de désamorcer la situation.

“Obéissance à la loi, on va procéder à un contrôle d’identité.Vous allez venir ici un par un, contrôle d’identité, fouille de sacs. Obéissance à la loi, fin de l’attroupement”

 © La mule du pape - Andrea Saulle

Des gens s’indignent.

“Un attroupement?
– Oui monsieur, fuse le gendarme, ce n’était pas une manifestation, c’est un attroupement. Une manifestation est déposée en préfecture, là c’était pas le cas.”

 © La mule du pape - Andrea Saulle

Une autre interpellation a lieu, celle d’un garçon qui semble à peine sortir de l’adolescence. Finalement, les contrôles d’identité n’auront dans les faits pas absolument lieu, juste les fouilles. Tout le monde est petit à petit exfiltré du périmètre. Quelques rues plus loin et instants plus tard, une altercation a lieu place Saint-Denis. Un CRS n’a pas apprécié de se faire traiter de “collabo” par une personne se trouvant près d’une terrasse. Une personne est “prise en charge” par les policiers, je ne sais si on peut parler d’interpellation. Plus loin, sur la Comédie, pas de nouvel “attroupement” à déclarer, si ce ne sont qu’une petite cinquantaine de personne qui finissent vite par repartir.

C’est un portrait d’une manifestation presque nouvelle qui a eu lieu à Montpellier. Certes, la météorologie est ici importante dans le déroulement d’un rassemblement et a du en décourager de nombreux et donner une impulsion moindre à cet acte 21, mais il demeure ainsi significatif que plus de deux mille personnes aient pris part à cette manifestation, et qu’un nombre important ait perduré malgré le très long parcours, dont la dispersion, très retenue, n’est intervenue qu’après plusieurs heures. On peut, pour ce samedi, confirmer du moins momentanément, l’inflexion prise à Montpellier dans la stratégie de gestion de foule par les forces de l’ordre. Une gestion plus intelligente et subtile, il faut le reconnaître, compte tenu du fait qu’une action d’envergure sur l’autoroute n’ait pu être menée que par des éléments très politisés du cortège. On aurait pu craindre après cela, de nouveaux affrontements. Or il se trouve qu’en barrant sans violence l’accès au centre-ville et en se contentant d’accompagner la manifestation par les gendarmes mobiles qui jouissent d’une meilleure image parmi les manifestants, notamment grâce à leur retenue et leur respect des sommations et autres usages, la manifestation s’est d’elle-même dispersée, sans besoin d’aucune violence ni d’agressivité des forces de l’ordre. Sans doute par fatigue, mais aussi beaucoup par déroutement.

Reste à savoir si les actes futurs seront menés de la même main. La politisation du mouvement est indéniable, et la proportion de personnes qui participent systématiquement au côté “sauvage” de la manifestation est stable voire grandissante. Il est difficile de déterminer si le nombre de manifestants, par un temps initial pluvieux, ou la présence peut-être un peu moindre des “black blocs”, ont eu une influence sur la stratégie qui a été adoptée. Dans tous les cas, ce samedi, c’est un choix proportionné qui a été fait. Le parti qui dispose de la plus grande force de frappe sur le terrain a pris sur lui de limiter sa violence au minimum et d’adapter sa stratégie à la temporalité de la manifestation. Et en retour, aucun affrontement, aucune dégradation, un cortège qui s’époumone sans aucun sens, autour du centre-ville. Les CRS et la CDI 34, qui cristallisent la colère des manifestants, n’ont été utilisés qu’en forces de dissuasion ou de dispersion, et sur périmètres restreints. La BAC a été inexistante. Les gendarmes mobiles ont assuré une transition douce entre l’usage de la force et la fragmentation progressive du cortège. En bref, une gestion raisonnable de la foule, qui n’a pas attisé les réactions habituelles de colère et parfois de violence, et qui par sa douce fermeté a visé à désagréger avec patience le cortège sans entraîner de confrontations directes par une présence policière trop brusque. Mais je tends à me méfier désormais de ces actes pluvieux trop inusuels chez nous.







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