La répression s’abat aussi sur les mouvements écologistes

Photographie provenant de la page Facebook d’ANV COP21

Un militant du groupe ANV (Action Non-Violente) COP21 a été perquisitionné à son domicile et placé en garde à vue mercredi 17 juillet 2019 au matin dans les locaux de la gendarmerie de Clapiers, suite à une action de décrochage d’un portrait présidentiel dans la mairie d’Assas (Hérault). Celle-ci, qui s’est déroulée deux jours plus tôt, réunissait 16 militants et visait à “réquisitionner” le 117ème portrait présidentiel depuis le début de la campagne Décrochons Macron! lancée en février dernier par des groupes écologistes et des militants.

Julie, militante d’ANV COP21 Montpellier, également entendue en audition libre dans le cadre de cette arrestation, nous a précisé qu’en l’absence de décision du procureur quant aux suites à donner à cette opération, Lewis C. avait du passer la nuit en garde à vue. Il est finalement ressorti libre de celle-ci jeudi 18 juillet autour de midi.

Décrochons Macron!

Cette campagne de décrochage s’inscrit dans les effets secondaires de “l’Affaire du Siècle”, une campagne pour la justice climatique initiée par quatre ONG (Greenpeace France, Oxfam France, la Fondation pour la Nature et l’Homme, et Notre affaire à tous) et appuyée par une pétition signée par plus de 2 millions de citoyens. Ayant jugé “inacceptables” les réponses apportées par le gouvernement, qui a déclaré vouloir “maintenir le cap” quant à son traitement des questions écologique et climatique, ces quatre ONG déposent finalement le 14 mars 2019 un recours contre l’État devant le tribunal administratif de Paris, afin de le contraindre à respecter les termes de l’Accord de Paris sur le Climat (Cop21) et de faire acter dans la loi la notion de préjudice écologique.

ANV COP21 est un mouvement citoyen découlant du mouvement écologiste Alternatiba, et créé en 2015 autour de l’organisation d’actions non violentes lors de l’événement éponyme qui avait consacré, du moins médiatiquement, la France comme un leader mondial de la lutte contre le dérèglement climatique. Quatre ans plus tard, les efforts politiques consacrés à la question apparaissent comme loin d’être satisfaisants. Mais depuis, le mouvement s’est structuré nationalement et s’est impliqué dans de nombreuses formes d’actions non violentes, tout en s’engageant dans une forme de convergence locale, que l’on peut constater dans la situation héraultaise, avec des acteurs du mouvement social, citoyen ou écologiste (Alternatiba, Extinction Rebellion, iBoycott, la LDH, Nouveau Monde, Young for Climate, les Désobéissants, certains groupes gilets jaunes, ou de simples citoyens impliqués). L’ADN du mouvement repose sur la construction et la réalisation d’actions non violentes visant à alerter la population sur l’immobilisme politique concernant les questions écologiques et les nombreuses problématiques qu’elles engendrent. C’est ce dénominateur commun qui lui permet de converger avec des groupes dont l’angle d’attaque diffère parfois considérablement.

La non-violence comme guide

Selon Julie, “dans ce mouvement, on prend le parti de ne pas répondre à la violence par la violence. Sinon c’est l’escalade, et on ne repart pas sur une situation apaisée. Si on cherche à construire une société plus bienveillante, on ne peut pas en passer par là.” C’est aussi pourquoi les militants d’ANV COP21 agissent et s’expriment à visage découvert, et acceptent que leurs noms soient cités. Ce fut le cas pour Lewis, qui s’était exprimé nommément la veille de son interpellation, sur France 3 Région, et était de plus celui qui tenait le portrait décroché sur une des photos communiquées après l’action. Pour Julie, “ce qu’on fait est légitime, on n’a pas à se cacher.” Pour autant, les personnes présentes en soutien à Lewis, devant la gendarmerie de Clapiers, auraient fait l’objet de contrôles d’identité.

Les actions de décrochage entreprises par ANV COP21 visent à dénoncer l’inaction gouvernementale face à l’urgence climatique et la répression d’État subie par le mouvement social et écologiste, alors même que la polémique continue d’enfler après que des militants écologistes du groupe Extinction Rebellion (XR) ont été violentés et abondamment gazés par des CRS lors d’une action de blocage du pont de Sully à Paris le 28 juin 2019. Après que M. Castaner a annoncé l’ouverture d’une enquête par l’IGPN, on apprenait récemment que le commandant de la brigade CRS responsable de l’opération, a perdu connaissance suite à une suffocation liée aux gaz lacrymogènes, dont l’usage n’a pas été fait de manière conforme.

A travers la répression, révéler l’absurde

En effet, selon la Loi, le recours à la force dans le maintien de l’ordre ne doit pas être systématique, et “n’est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public” selon l’article R211-13 du Code de la sécurité intérieure. “La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser“. Que dire de l’emploi de la force et de gaz lacrymogène face à des militants pacifistes et immobiles ? De plus, l’utilisation de ce type de gazeuses peut entraîner, à bout portant, des dommages irréversibles aux yeux et aux voies respiratoires. Pourquoi ne pas procéder à de simples contraventions par exemple ?

Selon David, militant au sein d’XR Montpellier, “[les forces de l’ordre] cassent les manifestations depuis la Loi El-Khomri. C’est la première fois qu’on a vu des familles, des syndiqués, se faire gazer. Cela a engendré une peur de manifester”, qui a peut-être pu elle-même, donner lieu à cette augmentation des actions non-violentes dans le champ du militantisme politique ou écologiste. Et à des expérimentations en terme d’organisation et de structuration… Au sein d’XR, la prise décisionnaire à l’échelle locale se fait collégialement, et certains militants sont chargés de la coordination et de la convergence avec d’autres groupes ou organisations. Pour David, c’est “un mouvement inédit de convergence. On a globalement les mêmes objectifs, mais différents modes d’action“. Extinction Rebellion s’est par exemple positionné en soutien de la campagne de décrochage menée par ANV COP21.

Face à ces actions politiques qui jouent sur les zones grises de la loi, s’active une réaction judiciaire qui se base elle aussi sur le terrain de l’ambiguïté. Comment en effet considérer que ces actions de décrochage puissent être traitées sous la forme de “vol en réunion”, tel qu’il en fut le cas pour le premier procès les concernant ?

A ce petit jeu, il semble que les militants d’ANV COP21, comme d’autres groupes militants écologistes, soient plus malins que les procureurs, qui relèvent de la réponse assumée de l’exécutif, puisque ces premiers appliquent une stratégie qui se construit depuis l’action en question, jusqu’à sa judiciarisation et la défense qu’ils vont choisir d’appliquer.

L’accent mis sur la préparation

C’est ainsi que lors du procès de Bourg-en-Bresse, chaque inculpé était en mesure de présenter harmonieusement les détails et motivations d’une action purement politique, non violente et résistante, et d’assumer ceux-ci pleinement de sorte à générer un débat politique au sein même du tribunal. La stratégie de la défense était d’utiliser ce procès “pour en faire celui de l’inaction politique“. Suite à cela, les militants n’étaient condamnés qu’à une peine d’amende avec sursis, et relaxés pour le refus de prélèvement de leur ADN. Et ils ont de plus, bénéficié d’une exposition médiatique efficiente.

On est face à une justice qui n’a soi disant pas les moyens, d’après Julie, mais qui semble quand même très rapide quant aux mouvements sociaux. C’est comme pour Lewis, il n’y avait pas besoin d’aller le chercher chez lui, une simple convocation aurait suffit.

Les méthodologies de ces militantismes nouveaux, et qui tendent à se populariser à l’échelle de la planète, basées sur des actions non-violentes et une gestion intelligente des effets induits par le système politico-médiatique, sont elles-mêmes préparées à une réponse violente de la part des instances étatiques. “La répression de l’État tend à le ridiculiser, et finit par servir au mouvement.

David considère que “s’il n’y avait pas eu le gazage [sur le pont de Sully] l’action en question aurait été sans retombées médiatiques“. Quant à la répression subie par les militants d’XR, il estime que la désobéissance civile est non violente certes, mais radicale. Lorsque des actions sont préparées, chaque participant agit en âme et conscience et sait ce qu’il risque. “Chacun est libre de l’intensité de son engagement et conscient des retombées possibles“. Chez Extinction Rebellion, chaque action engagée est d’ailleurs liée à une analyse juridique des risques entrepris. Julie estime que dans ces mouvements “il y a une forme de solidarité, car chacun adopte sa gestion des risques, et que cela est accepté” par tous.

Des stratégies qui portent leurs fruits

Nous relations récemment la dernière action d’Extinction Rebellion à Montpellier, qui reprenait le principe de détournement de l’anti-pub pour interpeler de manière caustique la Métropole quant à son engagement en matière d’écologie et déclarer un officieux “état d’urgence climatique“. La Métropole a d’abord en retour menacé de porter plainte, justifiant de motifs d’usurpation. Pour autant, la Gazette de Montpellier, nous apprenait qu’en ce jeudi 18 juillet le conseil municipal de Montpellier votait “un vœu pour se déclarer en état d’urgence climatique” . “La transition écologique est un devoir humaniste que la ville de Montpellier entend bien honorer”, a déclaré le maire Philippe Saurel. Montpellier prend ainsi cet “engagement” parmi près de 800 villes dans le monde…

Au delà de cet argumentaire politique, force est de constater que les tentatives de répression sur les mouvements écologistes et anticapitalistes n’ont de cesse de s’étoffer en France. Rappelons le procès des faucheurs de chaise (dont faisaient partie des militants d’Alternatiba et d’ANV COP21) et qui, en “réquisitionnant” plus de 200 chaises dans des agences bancaires, ont poussé certaines banques à faire marche arrière sur des questions éthiques. Telle la BNP qui a annoncé renoncer à sept filiales ouvertes dans les Îles Caïmans suite à des échanges avec divers groupes et associations. Pour autant la banque a porté plainte pour le vol de quatorze chaises…

La stratégie pour les militants non-violents est de faire masse, partant du principe que la non-violence fonctionne et peut convaincre l’individu. Le fait de sortir d’un certain cadre, postulé par les instances médiatiques conventionnelles, et de se rendre visible ainsi que d’en assumer les conséquences en terme de réponse judiciaire, brise l’image du pacifiste “baba” et relève finalement d’une forme de mode de pensée que les militants assument comme “radical”, bien qu’il ne se base pas sur un engagement nécessairement physique.

Julie résume au final assez bien l’état d’esprit et de créativité de ce genre de mouvements : “On n’a pas le choix. Si on veut être entendu, on doit agir graduellement. Si le pouvoir emploie d’aussi grands moyens face à nous, c’est que ça les chatouille…

Reste à voir ce que le traitement judiciaire de cette nouvelle action réservera aux militants d’ANV COP21… Depuis le début de la campagne Décrochons Macron! plus de quarante militants ont été convoqués pour treize procès.

 







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