Jean-Marc Rouillan (Action Directe) sur le mouvement des gilets jaunes

C’est par hasard que la Mule a pu croiser Jean-Marc Rouillan, ancien membre de l’organisation Action Directe. Celui-ci nous a livré ses impressions sur le mouvement des gilets jaunes.

Véritable légende pour certains anarchistes et anti’ en tous genres, terroriste et assassin pour d’autres, Jean-Marc Rouillan a été membre du groupe Action Directe, impliqué dans des dizaines d’attentats commis entre 1979 et 1987 en France. Si le nom de l’homme n’a pas forcément imprimé les esprits dans la population, par le militantisme et la violence extrêmes qu’elle a choisi d’exercer, celui de l’organisation anarcho-autonome anti-impérialiste a bel et bien marqué une époque où le capitalisme ultralibéral s’exerçait sous l’oeil impassible d’un inédit gouvernement socialiste.

Les membres d’Action Directe ont commis une longue série de braquages et d’attentats visant des symboles de l’impérialisme capitaliste américain et de son hydre européenne, dont des magasins de luxe, des banques, des organisations étatiques ou patronales. Cependant, un certain nombre d’entre elles ont entraîné la mort de policiers ou de civils. Tentant d’internationaliser sa lutte, Action Directe fera l’objet de toutes les attentions de la police et des renseignements pendant plusieurs années, ce qui ne l’empêchera pas de mener des actions parfois dévastatrices. Celles-ci feront au total douze morts et une trentaine de blessés.

C’est notamment pour complicité dans deux assassinats (René Audran, haut fonctionnaire du ministère de la Défense, et George Besse, PDG de la régie Renault) que Jean-Marc Rouillan est condamné en 1989, puis 1994, à une peine de prison à perpétuité avec 18 ans de sûreté. Il purge plus de sept ans de sa peine à l’isolement, et finit par être définitivement libéré en 2011, après 24 ans de détention. Plus récemment, il a été condamné pour apologie du terrorisme en 2017 pour des propos tenus sur les attentats de 2015 à Paris. Aujourd’hui âgé de 67 ans, il ne regrette pas son engagement révolutionnaire.

La question de la violence ne s’est jamais autant posée au sein du mouvement social, tout en le divisant encore beaucoup actuellement. Avec l’explosion de l’adoption des usages du black bloc, des actes de violence en manifestation, la répétition des actes de sabotages des permanences de représentants politiques, de blocage des gilets jaunes, de grèves sectorielles inattendues, il semble qu’une nouvelle forme de violence “populaire” vienne répondre à celle du monde capitaliste.

Dans les pays occidentaux (ou occidentalisés), ces engagements politiques ne versent pourtant pas dans une extrémité qu’ont connu des temps plus anciens, comme on peut le voir à Hong-Kong ou en France avec les gilets jaunes. Ils se limitent à l’expression de la rue, bien que potentiellement agressive, mais ne dérivent pas sur une action “directe” radicale et violente, ciblée et prompte à verser le sang. Est-ce à venir, si le pouvoir politique se maintient dans sa propre extrême politique ? Seul le temps y répondra. Pour l’instant, on en reste aux pavés brisés et aux cacatovs.

Jean-Marc Rouillan livre à la Mule son point de vue sur un mouvement inédit en France, celui des gilets jaunes. Rouillan semble surpris de ce qu’a apporté ce dernier à la trajectoire du mouvement social, ainsi qu’aux courants révolutionnaires. Par leur inventivité, leur capacité à faire masse spontanément et à enrichir à chaque acte leur pratique de la manifestation, les gilets jaunes ont failli surprendre le pouvoir, dans une décharge insurrectionnelle qui peine aujourd’hui à se renouveler. Toutefois, les plus ultras d’entre eux, les plus déterminés, sont sans doute encore sur le terrain presque chaque samedi. D’autres trouvent aujourd’hui un renouvellement dans l’exploration et l’organisation de pratiques politiques et démocratiques nouvelles.

A travers la diffusion de cet échange avec Jean-Marc Rouillan, nous ne voulons ni promouvoir l’homme et son histoire, ni pour autant les condamner, ce que la justice a déjà fait. Son engagement et ses actes appellent à une époque que nous ne vivons plus, et répondent à sa responsabilité propre. Même si dans notre media, personne ne peut cautionner les pertes en vies humaines entraînées par de telles actions, il nous semble toutefois juste de respecter la liberté d’expression de Rouillan, et son expérience politique, fussent-t-elles celles d’un homme que d’aucuns désigneront comme “assassin”.

 







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