Une semaine avant le déconfinement, la galère des masques dans l’Écusson

C’est toujours la même phrase désolée qui revient : “On les attend pour la fin de semaine… mais on n’est pas sûr qu’ils seront bien là !” Une semaine avant le déconfinement et alors que pharmacies, bureaux de tabac et grandes enseignes ont été autorisées à vendre des masques, la Mule a voulu savoir ce qu’il en était de l’offre à Montpellier, et plus particulièrement dans le centre-ville. Il va de soi, et les réseaux sociaux s’en sont déjà scandalisés, que les hypermarchés regorgent de masques chirurgicaux ou réutilisables, mais qu’en est-il pour les habitants du centre-ville et de ses alentours ?

Les bureaux de tabac en galère d’approvisionnement

D’abord, les bureaux de tabac. La demi-douzaine que nous sommes allés interroger ont tous eu la même réponse : “Fin de semaine“. Une buraliste nous confie qu’ayant tenté d’en commander sur la plateforme d’approvisionnement dédiée, celle-ci s’est retrouvée immédiatement saturée. On lui a alors recommandé de patienter jusqu’au 4 mai. Hélas, depuis, le site demeure indisponible ou ne présente que des publicités. Elle ne sait donc pas quand elle pourra passer commande. Son bureau de tabac a cependant pu bénéficier de l’entraide d’un autre buraliste, qui lui a fait passer 40 masques réutilisables, vendus 5€ pièce. Ceux-ci étaient tous écoulés dans la journée. La buraliste nous confie qu’elle pourrait passer par une autre plateforme, mais que les masques seraient revendus trop chers pour pouvoir faire une marge : “On devrait les vendre 8 ou 9 euros, nos clients ne peuvent pas se permettre une telle dépense pour un masque“.

Même son de cloche dans les autres bureaux de tabac, tous attendent une livraison en fin de semaine ou début de semaine prochaine (rappelons que le 11 mai est lundi prochain). Un buraliste nous assure avoir commandé 200 masques réutilisables, mais craint que seules quelques dizaines lui soient délivrées en temps et en heure.

La grande distribution à la traîne

Qu’en est-il des enseignes de la grande distribution ? Les deux magasins Carrefour que nous avons visité n’ont toujours pas été approvisionnés, et leurs responsables ignorent quand les livraisons auront lieu. Il en va de même pour les magasins U. Seul le Monoprix de la Comédie semble avoir déjà été livré en masques, comme en témoignent les pancartes affichées en magasin. Toutefois, en parcourant les rayons, impossible de trouver le moindre masque. Une caissière nous confirme que le magasin s’est retrouvé immédiatement en pénurie face à la demande.

Un oeil sur les prix peut nous apprendre à quel point les lois du marché sont néfastes à la santé. Les masques jetables chirurgicaux, qui valaient environ 7 cents d’euro pièce en janvier, sont vendus jusqu’à presque dix fois plus chers par Monoprix. Le prix du masque réutilisable est toutefois moins élevé que le tarif à venir dans les bureaux de tabac (5€).

L’inquiétante pénurie des pharmacies

La Mule, si elle ne fut pas trop surprise des difficultés d’approvisionnement des bureaux de tabac, ceux-ci ne disposant pas d’un réseau d’approvisionnement aussi efficient que la grande distribution, ne s’attendait en tout cas pas à se confronter à une pénurie totale dans les pharmacies de l’Écusson. Toujours le même son de cloche qui revient : “On les attend…“. Dans une pharmacie près de la place de la Comédie, une vieille dame s’offusque d’avoir commandé son lot de masques depuis le 28 avril, alors que la pharmacienne lui répond qu’elle est en rupture de stock. La pharmacie a en effet pris les devant en mettant en place une liste d’attente pour ses clients habituels. “On en a commandé 200, on n’en a reçu que 20 pour l’instant ! – Heureusement que ma belle-fille m’en a cousu un, mais j’aurais préféré avoir une meilleure protection dès maintenant !” La pharmacienne s’excuse, désolée, alors que la dame confie avoir des difficultés respiratoires chroniques.

Face à nos questions, tous les pharmaciens nous répondent la même chose. Ils ont commandé, et des masques chirurgicaux, souvent massivement, et des masques réutilisables, en moins grand nombre, mais aucun ne sont pour l’instant arrivés, et tous craignent que les commandes ne soient pas intégralement acheminées, face à l’afflux de la demande sur le marché privé. Alors qu’ils ont été bloqués dans leurs commandes des semaines durant, les pharmaciens se retrouvent aujourd’hui pris au piège de l’offre insuffisante sur notre territoire, et les masques réutilisables qu’ils ont commandé viennent par ailleurs d’une entreprise italienne.

C’est après de nombreuses pharmacies dans le même cas que nous tombons enfin sur des masques disponibles, mais il s’agit seulement de masques réutilisables. “Alors, il faut savoir que ce sont des masques fournis par une entreprise italienne, ils sont à la norme européenne et en cours d’agrément par l’AFNOR. – Ils sont donc à la norme CE ? C’est inscrit sur le paquet ?”. Rien, sur l’emballage n’indique que les masques correspondent bien à une quelconque norme. Le prix : 5€. La Mule s’en est donc procuré un, sous les yeux incrédules de la pharmacienne : “Vous savez que ça vous protègera bien moins que ce que vous portez déjà… ?” La Mule porte en effet un masque FFP2 lors de sa promenade… La pharmacienne se montre incapable de définir le niveau de protection du masque qu’elle nous vend.

De passage dans une dernière pharmacie, l’une des plus grosses de l’Écusson, la Mule entre pile au bon moment, dirait-on. L’un des employés s’affaire à décharger une voiture. Neuf gros cartons sont entreposés dans l’officine, estampillés “Surgical masks, 40×50“. Soit un total de 360 lots de 50 masques chirurgicaux. La responsable du magasin refuse de répondre à nos questions : “J’ai déjà répondu une fois à la presse et ça nous est tombé dessus“. Nous expliquons notre démarche et précisons que nous ne sommes pas là pour piéger les pharmaciens, mais mettre le doigt sur les difficultés de leur situation. “Elle a du aller chercher tous ceux là elle-même chez notre fournisseur” nous confie son employé.

Notre modèle essayant un masque réutilisable…

Retour à la maison et test du masque précédemment acheté : une espèce de slip de tête en quelque sorte, un demi cache-cou, en une seule couche de tissu. Pas pratique à mettre, se plaque directement contre le visage, la bouche, le nez, on respire donc directement au plus près des mailles du tissu. Il faut le réajuster régulièrement, donc le manipuler et potentiellement le contaminer avec ses doigts. Il est à douter que ce type de masques vendu hors de prix et réutilisable une dizaine de fois (“Oui c’est à peu près ça, à 60°” confirmait la pharmacienne, peu sure d’elle) soit d’une protection très efficiente contre le coronavirus…

 







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