C’est une étude que l’association Acrimed, observatoire des médias français, vient de publier ce vendredi 4 septembre, menée entre mars et avril 2020, alors que la crise sanitaire s’ajoutait à une situation sociale tendue et que l’économie battait déjà sévèrement de l’aile. Elle est consacrée aux matinales des cinq principales radios françaises (France Inter, RTL, RMC, France Info et Europe 1) et notamment aux profils de leurs invité·es. S’en dégage un portrait qui vient tristement illustrer le bourrage de crâne idéologique et sociétal auquel se livrent les massmedia : 81% des invité·es sont des hommes, majoritairement de droite ou d’extrême droite.
La tranche horaire de la matinale est traditionnellement réservée à des questions sociales ou politiques et à la réception d’invités. Elle représente un moment clé de la programmation radiophonique, avec plus de 5 millions d’auditeurs quotidiens. Malgré l’explosion d’internet, la matinale reste donc un créneau massif de diffusion de l’information.
La radio, ou la voix du système patriarcal
“Le panorama ainsi dressé révèle d’écrasantes inégalités de genre, et donne à voir la misère du pluralisme politique, économique et social à l’antenne”
Acrimed a classé les 287 invité·es de ces matinales, sur une période allant du 17 mars au 30 avril. Premier fait marquant, qui illustre parfaitement à quel point les médias sont un vecteur permanent du système patriarcal : 81% des invité·es sont des hommes. Ce résultat est constant sur l’ensemble de ces chaînes, celle ayant invité le plus de femmes (France Inter) n’en comptait que 27%. RTL est le pire élève de l’égalité femmes-hommes puisque 89% des invité·es de ses matinales étaient des hommes. Il faut également noter que parmi les 34 invitations passées à des femmes politiques (contre deux fois plus d’hommes), un tiers concernaient Marine Le Pen.
LREM truste l’antenne
Parmi cet ensemble à l’inégalité de genres criante, on peut déterminer un certain nombre de catégories : politiques, chefs d’entreprises, syndicalistes, acteurs culturels, universitaires, etc… Là aussi, Acrimed démontre que les choix éditoriaux des radios privilégient un profil type. En effet, les représentants politiques sont évidemment les plus présents, avec 35% des invité·es.
Mais pas n’importe lesquels, puisque les représentant·es de la REM trustent les plateaux, avec plus de 55% des présent·es dans les matinales, suivi·es par les Républicains (24%) et le RN (5%). 85% des invité·es sont donc de droite, libéraux ou d’extrême-droite. LREM, parti fantôme sans réelle assise politique dans la population, fait donc tout pour exister au moins médiatiquement. Les partis dits de gauche (PS, EELV et LFI) totalisent à eux tous à peine 6%. Une superbe démonstration du pluralisme politique à la française, au beau milieu d’une crise sans précédent. Alors que l’information dépend de ceux qui la produisent, on peut voir à quel point tout est fait pour conduire à la pensée unique.
“Un tel palmarès confirme la petite musique (de droite) qui, chaque semaine, s’impose aux auditeurs. De fait, il fut impossible de trouver deux jours consécutifs sans un représentant du gouvernement ou de la majorité à la radio”
“Bref, le constat est sans appel : les voix de gauche ont littéralement été écrasées pendant la période étudiée. Offrant ainsi une démonstration de l’anémie du pluralisme politique dans les lieux clés de l’espace médiatique que sont les matinales radiophoniques.”
Les hommes politiques de droite sont donc suivis par les personnels de santé (22% des invité·es), ce qui est naturellement du à la crise du coronavirus et non pas à une soudaine attention médiatique bienveillante sur les revendications qu’ils prônent depuis des années.
Bâillonner la société civile
Viennent ensuite… les chefs d’entreprise et leurs représentants syndicaux (FNSEA, Medef, CPME), qui représentent 16% du total des invité·es. Pour leur donner la réponse : 1% seulement de représentants des salariés (CGT et CFDT). Voilà comment on inscrit les dogmes du libéralisme dans les pensées. Acrimed entre dans le détail de ces choix éditoriaux, dans une période qui brasse des thématiques diversement cruciales. Ainsi pas de travailleur lambda, ni d’inspecteur du travail, mais Muriel Pénicaud, ministre du travail, elle, a été invitée cinq fois. Parmi les plus fervents promoteurs du grand capital, Europe 1, détenue par le groupe Lagardère, quoi de plus étonnant ?
“Lidl, la Société générale, le Medef, EDF, la Fédération de l’hospitalisation privée, la BPI, Century 21, Orange, ADP, Sodexo, la Banque populaire, Korian, Amazon (deux fois !), Fnac/Sarty, Idex, Véolia, Crédit Agricole, etc. C’est un festival pour le capital.”
Aucun représentant d’un syndicat enseignant n’a non plus été invité dans une matinale, alors que la problématique de l’école se posait d’une manière inédite pendant le confinement. En revanche, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation, n’a pas été oublié, avec trois invitations.
Parlant éducation, voyons ce qu’il en est pour la culture ! Avec seulement cinq invitations, elle est le “parent pauvre” des matinales. Cinq hommes, tous des “pontes du secteur”, alors que la culture commençait à traverser la crise et son arrêt quasi-total du au confinement. Niveau intellectuel et universitaire, seulement 14 invitations, dont douze hommes, certains faisant partie des cercles du pouvoir.
Le système médiatique, aux mains des ultra-riches
Il est tout à fait alarmant de constater que toutes ces disparités reflètent typiquement la catégorie dominante de notre société patriarcale et inégalitaire, y compris sur des radios de service public comme France Info et France Inter. Cette illusion sociale trouve son écho à la télévision, et notamment sur les chaînes privées et chaînes d’info en continu, détenues par nos milliardaires locaux, où les idées ultralibérales et xénophobes vont bon train tandis que les thématiques liées aux luttes sociales sont occultées quand elle ne sont pas déformées et criminalisées.
Cette nouvelle étude d’Acrimed démontre combien il est nécessaire pour la population de se saisir de la question de l’information et de favoriser l’essor de nouveaux médias intègres, déliés des logiques du capital et revenant aux sources de la pratique citoyenne qu’est le journalisme.
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