Pourquoi flouter les policiers pose un problème “démocratique”

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, s’est exprimé dans le cadre de la présentation du nouveau Schéma Tactique du Maintien de l’ordre. Outre la légalisation des images prises par drone par la police, l’accord d’un superviseur pour chaque tir de LBD de la BAC et de la BRAV-M, et une nouvelle règlementation de l’usage de la nasse, le ministre a annoncé vouloir interdire la diffusion d’images de policiers sans flouter leurs visages. Or, une telle mesure poserait nécessairement de véritables problèmes “démocratiques”.

La directive du 23 décembre 2008 encadrant le droit à filmer la police, émettait pourtant une idée de bon sens :

Un fonctionnaire de police, soumis à des règles déontologiques strictes auxquelles il doit se conformer, ne doit pas craindre l’enregistrement d’images et de sons.

La liberté de la presse menacée

Le principal problème posé aux libertés publiques par une telle mesure, serait bien évidemment d’empêcher la diffusion rapide, voire instantanée, des actions de la force publique, sensée pouvoir être “démocratiquement” (nous ne débattrons pas ici de la réalité de la démocratie en France…) contrôlée et observée en toute liberté. La technique du flou est extrêmement longue et fastidieuse à réaliser, elle peut prendre de longues minutes de travail pour une simple séquence de quelques secondes, et à plus forte raison si les visages de nombreuses personnes doivent être floutées.

Le temps de montage pour un reportage de la Mule passerait ainsi d’une paire d’heures à une demi-journée… L’action policière étant omniprésente dans nos reportages de terrain, nous serions nécessairement tentés de moins montrer pour économiser ce temps de montage sur les scènes lambda, pourtant représentatives de l’ensemble d’une manifestation.

D’autre part, la diffusion en livestream qu’il s’agisse des automédias, des manifestants, comme des médias de masse, de manifestations, est rendue particulièrement complexe. Il est en effet impossible de filmer une action policière sans filmer un seul instant les visages des policiers, notamment si elle se déroule rapidement. Une telle loi reviendra donc à priver la presse de rendre compte des manifestations en direct ce qui pose évidemment problème dans un contexte de multiplication des violences policières et d’une répression active des mouvements sociaux. C’est donc à nouveau un contre-pouvoir démocratique qui serait visé par une telle loi.

Comme chaque loi sécuritaire qui vient libéraliser un peu plus le champ d’action de la police et laisser aux agents une libre appréciation de ce qui se passe sur le terrain, ce projet, s’il est adopté, risque de libérer les comportements oppressifs des policiers envers les observateurs et les journalistes, déjà très largement récurrents. Comme la loi anti-casseurs, qui a criminalisé le simple fait de manifester et entraîné une intensification des violences policières et des arrestations abusives, le risque d’un tel projet de loi est de légitimer des actions violentes qui viendraient entraver le droit de filmer ou photographier les fonctionnaires de police, qui lui n’est pas remis en question.

Le risque de renforcer l’impunité des violences policières

Dans le cadre des violences policières, interdire la diffusion des visages des policiers reviendrait à empêcher dans l’espace public tout élément d’identification d’un policier auteur de violence. Les fonctionnaires du maintien de l’ordre ont déjà pris l’habitude de ne pas porter leur numéro d’immatriculation, tout comme de masquer tout ou une partie de leur visage. Les policiers de la BAC excellent particulièrement dans cet art.

Le principal risque de ce côté là, serait de démultiplier le sentiment d’impunité de certains policiers. Si la diffusion d’une vidéo montrant des violences policières serait techniquement rendue compliquée par une telle Loi, seules l’IGPN ou la Justice (si une enquête judiciaire est ouverte) pourront de plus se prononcer sur les éléments d’identification des fonctionnaires délictueux. Or, comme on le sait, l’institution a une fâcheuse tendance à organiser l’impunité des siens, en se montrant incapable d’identifier les policiers auteurs de méfaits. Pourquoi donc le besoin d’une telle loi, si tant de policiers sont déjà méconnaissables ?

La diffusion médiatique d’images de violences policières a permis l’identification de policiers parfois connus pour leur propension à verser dans la violence gratuite, comme le commandant Didier Andrieux à Toulon dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes. La pression qui s’ensuit en terme sociétal aboutit en général à un minimum de mesures prises à l’encontre des policiers délictueux. Dans le cas des policiers municipaux par exemple, la diffusion médiatique d’images de violences policières peut rapidement aboutir sur des sanctions, face aux polémiques générées sur les réseaux sociaux.

La diffusion en direct d’images de manifestations peut agir comme un garde-fou à la violence démesurée de certains policiers, en leur rappelant justement que leur identification est rendue possible par la présence des vidéastes. Or, si les livestream ne sont plus possibles, il y a donc le risque de l’accroissement du sentiment d’impunité de ces policiers, qui, couverts par leur hiérarchie et le floutage de leur visage, ne craindraient plus de faire un usage illégal de la force dans l’espace public.

D’une autre façon, la diffusion d’images unanimement floutées des policiers renforcera le fossé déjà existant entre la population et la police, et participera à la déshumanisation croissante des fonctionnaires de police, déjà dévoyés dans leurs missions par la politique du chiffre menée depuis des années. De la même manière, les comportements possiblement vertueux des policiers seront en partie “humainement” occultés par le floutage de leur image. Les rares images d’échanges positifs entre policiers et manifestants disparaîtront de l’espace public. Le fait de ne pouvoir identifier aucune attitude sur le visage des policiers participera à la vision d’une police mécanisée et déshumanisée, renforçant la défiance de la population à son égard.

Un vieux serpent de mer de la droite

Depuis sa nomination, prenant la suite d’un Christophe Castaner impopulaire jusque dans les rangs policiers, Gérald Darmanin a bien pris soin de caresser dans le sens du poil l’institution policière, alerte à tous les cris d’orfraies poussés par les syndicats.

Avec cette volonté, il reprend l’un des vieux serpents de mer de la droite, qui avait déposé en mai une proposition de loi allant déjà dans ce sens, confirmant la pente politique sarkozyste qu’il suit après avoir installé le terme d’ensauvagement dans le débat public. Reste toutefois à voir si une telle proposition de loi n’est pas jugée anticonstitutionnelle par les “garde-fous” de la République…







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