Procès de Jules Panetier, journaliste au Poing : la liberté de la presse en danger ?

Ce mercredi 16 septembre 2020 se tenait devant le tribunal correctionnel de Montpellier le procès de Jules Panetier, militant anticapitaliste et journaliste au média Le Poing. Celui-ci avait été interpellé lors de l’acte 52 des Gilets jaunes à Montpellier, et était poursuivi pour participation à un attroupement en vue de commettre des dégradations ou des violences, et dissimulation du visage. En creux, c’était naturellement le procès de la liberté de la presse qui se tenait, et bien celui d’une certaine presse, contestataire, immersive et engagée.

Le réquisitoire bancal du Parquet

Lors de l’audience, après l’énumération des faits, le réquisitoire du procureur est venu illustrer à quel point l’État s’acharne à dénier la qualité de journaliste de ceux qui exercent un journalisme contestataire, pourtant reflet de la liberté d’opinion et d’expression qui doivent prévaloir en tant que contre-pouvoirs dans une démocratie saine.

Arguant ne pas s’appuyer sur la notion de carte de presse, le procureur Redon a pourtant axé son réquisitoire sur les conditions d’attribution de celles-ci (à savoir tirer l’essentiel de ses revenus d’une activité journalistique ou encore, être employé d’un ou plusieurs organes de presse) pour tenter d’exclure Jules Panetier de la pratique journalistique. Comme si seuls les journalistes des grandes rédactions pouvaient prétendre à une telle pratique, alors qu’il s’agit d’une profession non réglementée, souvent exercée par de simples citoyen·nes. Autre argument “de choc”, le fait que M. Panetier prenait des photos avec un téléphone portable et non avec un appareil photo… Le procureur Redon aurait-il manqué son entrée dans le troisième millénaire ?

Abandonnant directement le chef d’inculpation de “participation à”, le procureur a aussi tenté de faire admettre aux juges que les journalistes n’avaient pas plus de droits à dissimuler leur visage que le reste de la population, cantonnant le port du masque à la question de la dissimulation et excluant celle de la protection face aux gaz lacrymogènes.

Ne craignant pas de se contredire lui-même, M. Redon s’est appuyé sur des images montrant Jules Panetier fumer une cigarette sur la place de la Comédie, pour tenter d’accréditer l’idée que l’usage massif de gaz lacrymogène par les forces de l’ordre ne justifiaient pas le port d’un masque de protection… Il a requis, pour dissimulation du visage, une amende de 1500€. Quelle douce ironie d’assister à tout cela dans une salle d’audience où tout le monde a le visage… masqué !

La nécessaire protection du journaliste

Le plaidoyer de l’avocate du journaliste du Poing est venu remettre les points sur les i, en rappelant que le journalisme n’est pas une profession réglementée, et que ni la perception d’un quelconque salaire, ni la possession d’une carte de presse, ne viennent caractériser de manière intrinsèque la pratique journalistique, nécessaire dans tout système se prétendant démocratique.

D’autre part, Jules Panetier a été filmé par la vidéosurveillance avec et sans son masque à de nombreuses reprises ce jour-là, cassant par là la volonté de dissimuler son identité – qu’il a d’ailleurs formulée lors de son interpellation – qui caractérise pourtant le délit de dissimulation du visage. L’avocate a de plus émis que le port d’un masque et d’un casque dépendaient non pas d’un besoin de se dissimuler, mais bien de se protéger des éventuels projectiles qui peuvent représenter un danger dans l’exercice du droit d’observation de la presse.

La liberté de la presse, enjeu clé du procès

Au delà de la question de la dissimulation, c’est bien celle de la liberté de la presse qui est en jeu, et notamment d’une certaine presse contestataire, attachée à documenter au plus près la question de la répression policière, ce qui a tendance à ne plaire ni à la police, ni au pouvoir politique. Nous ne pouvons être dupes des véritables raisons de l’interpellation et de l’inculpation de Jules Panetier, quand les journalistes des médias de masse ne sont jamais visés par la police, masqués ou non.

L’acharnement policier à l’égard de cette pratique journalistique ne cesse de se constater dans le contexte des manifestations, puisque ce 12 septembre au moins trois journalistes indépendants ou travaillant pour des rédactions militantes ont été placé·es en garde à vue à Paris. On ne reviendra pas sur les cas emblématiques de Gaspard Glanz ou Taha Bouhafs, régulièrement interpellés ou inculpés pour des motifs toujours plus fallacieux.

Le délibéré a été reporté au 14 octobre. Si Jules Panetier était condamné, ce serait l’ensemble de la pratique journalistique qui le serait en même temps. Durant l’audience, une journaliste d’un média régional, présente pour couvrir le procès, nous a soufflé : “Mais c’est surréaliste… Même nous dans notre rédaction on nous donne une mallette avec un masque et un casque pour aller en manifestation.” C’est donc bien la criminalisation d’un certain journalisme qui est de mise, à travers les comportements policiers et l’orientation du Parquet.







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