54000 personnes enfermées en centres de rétention administrative en 2019

ASSFAM-Groupe SOS Solidarités, France terre d’asile, Forum Réfugiés-Cosi, La Cimade et Solidarité Mayotte, ont publié récemment leur rapport annuel concernant la rétention administrative des étrangers sur le territoire en 2019. Un portrait alarmant d’une situation qui ne cesse de se durcir pour les migrant·es depuis la loi du 10 novembre 2018 qui réforme leurs droits et permet l’allongement au double de la durée de rétention maximale (passant de 45 jours à 90), en parallèle de l’augmentation du nombre de places et de nouvelles constructions de centres de rétention administrative.

Durcissement de la politique d’enfermement

Ainsi, le nombre de personnes enfermées en CRA a bondi de 23%, une forte hausse qui répond principalement de la situation à Mayotte, où le nombre de personnes enfermées a bondi de 16000 à près de 27000 (dont 3000 enfants), et où le régime dérogatoire ultra-marin rend plus difficile le droit au recours. En métropole, le nombre de personnes retenues demeure similaire à celui de 2018, avec plus de 24000 personnes enfermées, mais avec une augmentation sensible des taux d’occupation dans nombre de CRA à cause du doublement de la durée maximale de rétention. Des chiffres qui ne prennent pas en compte les enfermements très temporaires en LRA (locaux de rétention administrative).

En corolaire de cette augmentation, les associations constatent un durcissement des conditions d’enfermement, aboutissant à l’accroissement de tensions et “de gestes traduisant la violence de cette politique : automutilations, suicides, révoltes ont jalonné l’année.” Elles constatent aussi la privation de liberté de nombreuses personnes atteintes de troubles psychiatriques, “éprouvées par leur parcours ou risquant un renvoi forcé vers un pays où leur vie serait en danger“.

Les associations présentes dans les CRA font le constat d’un enfermement décidé régulièrement sans discernement et fréquemment attentatoire aux droits fondamentaux et à l’intégrité de nombre de personnes enfermées, familles avec enfants comprises.

Suite logique de l’allongement du délai légal, la durée moyenne de rétention a augmenté de 40% en deux ans. Alors qu’elle était d’environ 12 jours, elle est passée à 17 jours en 2019. Près de 10% des personnes enfermées l’ont été pour une durée allant de 45 à 90 jours. La réforme qui a provoqué ces tendances visait à augmenter le nombre de procédure “d’éloignement” (d’expulsions du territoire) vers les pays extra-européens : en 2019, la France a prononcé plus de 120000 de ces mesures (OQTF: obligation de quitter le territoire français). Or, relèvent les associations, seules 12,5% de ces décisions ont réellement été exécutées, ainsi des 2279 personnes enfermées plus de 45 jours dont seules 1085 ont été expulsées. Ainsi, l’enfermement constitue dans les faits une démarche punitive pour les personnes le subissant.

Violations massives des droits

Les associations relèvent en outre des violations de droits massives. Ainsi, un tiers des personnes enfermées ont été libérées par des juges judiciaires ou administratifs en raison de décisions et pratiques illégales, ce que nous avions déjà renseigné sur Montpellier l’an passé (lire notre article : Rétention illégale et expulsions de demandeurs d’asile géorgiens), et notamment concernant les demandeurs d’asile “pris dans la nasse du système Dublin” (près de 20% des personnes enfermées, un nombre qui a doublé depuis 2018) et des personnes menacées d’expulsion vers des pays à risque. Pour les auteurs du rapport, “la récurrence de ces pratiques montre que la politique d’enfermement et d’expulsion l’emporte bien trop souvent sur le respect de l’État de droit.”

Un grand nombre de personnes ont en outre subi une expulsion vers des pays d’origine en guerre ou défaillants : 951 Afghans, 357 Soudanais, 339 Irakiens, 283 Somaliens, 180 Iraniens, 166 Érythréens, ou encore 118 Syriens.

La situation des enfants est particulièrement alarmante, et notamment dans le cas de Mayotte. En 2019, 3380 enfants ont été enfermés dans des CRA, dont 3100 sur l’île. Les associations constatent que dans ce département d’outre-mer, les pratiques administratives sont marquées de graves violations des droits. “Des enfants sont ainsi fréquemment rattachés illégalement à des adultes qui ne sont ni leur père ni leur mère. Dans ce contexte où il est impossible d’exercer des recours, des enfants de nationalité française ont également subi ce sort.” La France a été très fermement condamnée par la CEDH en juin 2020 pour ces mauvais traitements.

En métropole, 136 familles ont été enfermées en CRA, totalisant 279 enfants, un chiffre en hausse de 34% par rapport à 2018. La moitié d’entre elles étaient visées par une mesure d’éloignement vers un pays européen. Les familles albanaises et géorgiennes ont été particulièrement touchées par ces mesures, représentant 37% des cas. L’État a ainsi mis en place des vols groupés qui ont conduit à des interpellations massives de familles et à de nombreuses violations des droits concernant les conditions d’interpellation, les enfermements abusifs en CRA, la séparation des familles. La moitié des enfants enfermés avaient moins de 6 ans. Si 35 préfectures ont pris ce type de décisions, les 66 restantes n’ont pas recouru à ces traitements contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant, démontrant qu’une telle façon de faire n’est pas obligatoire.

Les chiffres vertigineux des DOM-TOM

Comme on l’a vu, la situation à Mayotte laisse pantois quand on voit que l’île concentre près de la moitié des placements en rétention sur le territoire français. Les associations expliquent que “des tensions sociales et la démonstration d’un pouvoir central fort sont traitées par une politique d’enfermement et d’expulsion visible et intense.” L’île est particulièrement concernée par l’immigration illégale en provenance des Comores. Aussi, la priorité pour l’État est d’atteindre le plus rapidement possible des chiffres d’expulsion élevés.

Ainsi, les CRA de Mayotte, de la Guyane ou de la Guadeloupe sont de loin les premiers centres en terme de rapidité d’enfermement, et d’expulsion. Mayotte totalise ainsi 23158 d’entre elles, une situation avant tout permise par le régime dérogatoire ultra-marin, qui autorise “que les expulsions soient exécutées dès le début de la rétention, sans temps alloué pour organiser sa défense“. Ainsi 75% des personnes enfermées ne restent qu’entre 0 et 3 jours en rétention avant d’être expulsées, la durée de rétention à Mayotte est en moyenne de 17 heures avant expulsion. On est donc dans un contexte de “rotation quasi quotidienne des personnes enfermées“, par la suite expulsées majoritairement sans le contrôle d’un juge.

La rapidité des expulsions, souvent exécutées avant que le contrôle du juge n’ait pu intervenir, prive une grande partie des personnes enfermées de la possibilité de défendre l’irrégularité de leurs conditions d’enfermement ou de la procédure de rétention. En Guyane, les trois-quarts des expulsions sont organisées dans la foulée de l’interpellation et sans accompagnement juridique

Beaucoup des personnes concernées présentent une situation de santé problématique, sont malades ou vulnérables. Leurs renvois vers leurs pays de nationalité s’inscrivent donc à rebours du droit à la santé, d’où la multiplication d’actes de détresse comme les automutilations ou les tentatives de suicide. Depuis 2017 rappelle les associations, cinq personnes ont trouvé la mort en rétention. De plus, les conditions d’enfermement en outre-mer présentent un traitement relativement indigne dans ces climats de zones humides, où la chaleur étouffante favorise la prolifération de maladies : absence de ventilation ou de climatisation, conditions d’hygiènes dégradées, accompagnement médical sous-dimensionné.

Ainsi la situation dans les DOM-TOM vient-elle gonfler très largement les chiffres de l’État et montrer la volonté politique suivie sous le mandat Macron d’envoyer un message particulièrement ferme et inhumain à l’encontre des phénomènes migratoires qui s’accentuent en parallèle de nombreux conflits militaires ou sociaux, ou d’événements liées à la crise climatique. Cette volonté s’inscrit dans un contexte de flambée de la xénophobie dans l’espace médiatique et politique, et d’un virage à droite toute amorcé par le gouvernement qui vient toujours plus visiblement chasser sur les terres électorales du Rassemblement national.

 







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