Les pouvoirs publics ont voulu agir vite. Alors que l’ouverture d’une ZAD et de sa Maison de l’Écologie et des Résistances menaçait d’entraver la reprise des travaux de la Liaison Intercommunale d’Évitement Nord de Montpellier (LIEN), le préfet de l’Hérault a mené vers sept heures du matin ce jeudi 22 octobre, l’expulsion par des forces de gendarmerie d’une dizaine de personnes dormant sur les lieux. Aussitôt, la pelle mécanique s’est mise en branle et s’est méthodiquement appliquée à détruire la petite bâtisse méridionale cachée dans les garrigues et expropriée par le Département.
Une expulsion sur des fondements illégaux ?
“Le matin du 22 octobre vers 6 heures, des forces commando, équipées de béliers et de fusils mitrailleurs, ont encerclé la MÉR et lancé un assaut violent, sans sommations, en défonçant les portes, contre dix militant·es écologistes non-violent·es, encore endormi·es en sous-vêtements dans leurs sacs de couchage. La veille au soir était bon enfant, composée de dîners aux chandelles, de jeux de société, de rires et de débats pour refaire le monde. L’après midi nous préparions un petit jardinet pour planter des fleurs, il y avait un atelier menuiserie pour créer des meubles de récup’ à partir de palettes. En nous couchant, nous étions remplis d’espoir à l’idée que quelque chose de nouveau était en train de se créer. Le lendemain matin, nous nous sommes retrouvé·es par terre, sous la pluie, à peine le temps d’enfiler un t-shirt, certains encore torse nu, menotté·es dans le dos, assis, aligné·es face à une trentaine de gendarmes surentrainés et surarmés. Même des gendarmes sur place étaient outrés par l’intervention.”
Un rassemblement de soutien a eu lieu ce jeudi devant la gendarmerie de Saint-Gély-du-Fesc où une personne était convoquée à 14h, avant d’être finalement placée en garde à vue. Selon nos informations, une troisième personne a été également placée en garde à vue après son audition.
Contactée, l’avocate suivant le collectif de la MÉR s’alarme d’une possible violation du droit par cette intervention, qui se serait produite après le délai de flagrance permettant de procéder à l’expulsion sans jugement. Les militant·es occupant la ZAD avaient en effet fourni aux gendarmes venus reconnaître l’occupation un dossier de preuves de leur présence sur les lieux depuis le 6 octobre.
Alors que des mouvements et des politiques commençaient à se positionner et que la majorité socialiste et EELV gardaient un silence radio, la ZAD s’installait doucement dans le paysage médiatique. Le Département a de toute évidence voulu tuer dans l’oeuf le projet qui promettait un lieu de luttes ouvert aux citoyen·nes et militant·es, axé sur des principes humains, inclusifs et non-violents. Une action qui voulait interpeller les pouvoirs publics sur la nocivité de tout un système, de toute une vision de la ville et du développement, et qui non content de se positionner contre le LIEN faisait aussi le plaidoyer d’un monde repensé à travers le paradigme de la nature.
Les Zone à Défendre comptent quelques emblématiques victoires, beaucoup de statu quo et d’échecs. Mais au vu de leur potentiel à monopoliser régulièrement l’attention dans l’espace public et faire mauvaise presse aux projets infrastructurels ou immobiliers qu’elles combattent, les gouvernants locaux ne pouvaient sans doute pas se permettre de laisser la ZAD du LIEN fleurir, et ont montré leur peu de volonté à créer une voie de dialogue avec des citoyen·nes engagé·es dans le mouvement climatique. De la realpolitik locale… qui pourrait coûter à la majorité socialiste à moins de six mois des élections départementales.
Interpeller politiques et citoyen·nes
Cette opération de ZAD montpelliéraine, si elle fut éphémère, marque toute fois l’émergence du tracé du LIEN comme d’un territoire à défendre, et va sans doute entraîner des suites médiatiques. C’est le premier acte d’une action militante et citoyenne dont les retombées relanceront peut-être régulièrement le sujet du LIEN, dont les travaux devaient reprendre en 2021. Non-violente, la méthodologie adoptée visait à interpeller pouvoirs publics et citoyen·nes autour de la problématique de l’artificialisation des sols et de l’expansion à marche forcée de la ville.
Des forces de gauche ont d’ores et déjà réagi par des communiqués. Ainsi du NPA 34, exigeant la libération immédiate et l’abandon de toute procédure judiciaire à l’encontre des interpellés, qui dénonce “la marche rapide, constatée jour après jour vers un Etat policier autoritaire, en décalage complet avec les déclarations gouvernementales sur la liberté d’expression et en contradiction avec les assurances données à la “convention citoyenne pour le climat”. Le nouveau parti anticapitaliste appelle à une riposte unitaire des organisations du mouvement ouvrier, associatif et des droits humains du département. “La détermination et la créativité de ces militants sont porteuses d’avenir pour construire le “monde d’après”. La répression tous azimuts et la guerre antisociale menée par le gouvernement sont le symbole d’un monde dépassé, le « monde d’avant », que nous avons tous et toutes le devoir de combattre.”
Le mouvement Nous Sommes déplore que “la résistance portée […] contre la construction du L.I.E.N. [ait] été balayée par le département à coup de bulldozer.” et condamne le recours à la force à travers le choix de l’expulsion. “Le L.I.E.N est à l’image de nombreux autres projets: opaques, menés à l’encontre des habitants et de l’identité et la biodiversité de notre territoire.” Et se permet une petite pique à l’égard des socialistes : “Ce déni d’écologie n’a d’autre explication que la servitude de nos dirigeants à l’argent, aux promoteurs, aux barons. Rien d’étonnant pour le parti qui a enfanté Macron.”
Ensemble ! 34 “dénonce cette destruction brutale qui démontre une drôle de définition du dialogue. La Préfecture, le Conseil Départemental de l’Hérault doivent rendre des comptes sur cette destruction indigne et révoltante.” “Ce coup de force n’arrêtera pas le mouvement initié par ce projet de Maison de l’Écologie et des Résistances. Il est urgent que les combats contre les inégalités sociales, pour la défense de nos libertés, pour la bifurcation écologique s’articulent, se nourrissent les uns, les autres. C’est l’esprit qui a donné naissance à ce projet. La violence de l’État, la violence des institutions ne pourront pas tuer cette volonté car comme le dit Victor Hugo, il n’est rien de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue.”
Le maire insoumis de Grabels René Revol a une nouvelle fois réagi dans le Midi Libre : “La force publique a été utilisée ce 22 octobre pour déloger l’occupation pacifique de la Maison de l’Écologie et des Résistances sur le tracé du LIEN. Nous regrettons que l’usage de la force publique ait été privilégiée au dialogue avec les associations concernées.”
Pour l’heure, ni le Département, ni le Parti Socialiste, ni EELV ne se sont exprimés sur le sujet de la ZAD du LIEN, qui font comme si rien n’avait existé.
MAJ: Le Département a finalement publié ce vendredi 23 octobre un communiqué de presse dans lequel il avance ses sempiternels arguments “écologiques” et tente de démonter les “contre-vérités” assénées par les opposants au LIEN. Sa communication fera l’objet d’un article prochainement sur la Mule du Pape.
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