Gilets jaunes : deux ans de bras de fer avec le pouvoir

Il y a deux ans jour pour jour, des centaines de milliers de Français·es prenaient d’assaut les rond-points de l’Hexagone, répondant à un appel largement diffusé sur les réseaux sociaux, pour protester contre l’augmentation des prix du carburant. Spontané, le mouvement fluo naissait en brandissant comme un cri d’alerte son fameux gilet jaune, signal d’une colère grandissante de larges parts de la population vivant le déclassement des inégalités engendrées par l’ordre capitaliste néolibéral.

Si de nombreux militant·es répondaient à l’appel, l’immense majorité des participant·es vivait là sa première mobilisation, et déclinait pourtant de manière inattendue et extrêmement rapide des revendications communes, dans un premier temps mal comprises et relayées par les massmedia et une partie de la population. La dizaine de mort·es qui s’ensuivent lors des blocages routiers témoigne en partie de cette incompréhension. Mais en répétant de manière hebdomadaire ces rendez-vous contestataires, le mouvement venait révéler le visage sombre et cynique d’un pouvoir prêt à tout pour étouffer la gronde populaire et perpétuer l’illusion d’une société néolibérale idéale.

© Andrea Saulle

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Les violences policières ont ainsi mis des semaines à émerger dans l’espace médiatique malgré des réseaux sociaux débordant de preuves grâce aux smartphones des manifestant·es, et le travail intense de médias indépendants, parfois nés du mouvement (c’est le cas de la Mule), et engagés pour la manifestation de la réalité. La réponse du mouvement à la répression a été constante, s’est enrichie de l’apport d’autres expériences du rapport de force politique : des cortèges de tête d’ampleur inédite en France ont pris l’habitude de venir répondre aux tirs de grenades et de LBD par l’application des tactiques des mouvances les plus radicales, très impliquées pendant les premiers mois.

Exigence de plus de justice sociale, de démocratie directe et citoyenne, conscience de l’urgence climatique, solidarité et égalité, sont venues cimenter le socle d’une nouvelle fraternité et d’une aspiration intense aux libertés, et faire voler en éclat les stigmates d’une sclérose sociale qui n’aura fait qu’empirer pendant des décennies, à l’abri de la société du spectacle et de la surconsommation. C’est parce que le contrat social auquel ils et elles aspiraient s’est peu à peu rompu au fil de la mondialisation et de l’ère de l’hypercapitalisme, que les Gilets jaunes se sont réveillé·es et ont envahi les rues, avec des revendications novatrices et radicales qui sont venues ridiculiser l’immuabilité coupable et pantouflarde des syndicats majoritaires.

© Alix D

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Alix D

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Et ce ne sont pas les multiples tours de passe-passe du gouvernement Macron, son grand débat mégalomane, ses coups de com’ impétueux qui parviendront à les faire rentrer au bercail ni à les discréditer aux yeux de la majorité de la population. Par les Assemblées des assemblées, les Gilets jaunes tentent de se structurer et démontrent que la vraie démocratie est une pratique de chaque instant. La seule réponse capable du gouvernement face à un souffle citoyen si virevoltant, libre, indocile, fut un exercice de la violence d’État inédit par son ampleur et son caractère systématique, mobilisant des dizaines de milliers de forces de l’ordre chaque samedi et d’innombrables procédures judiciaires.

De manifestation en manifestation, le pouvoir a patiemment et violemment réprimé, misant sur l’essoufflement du mouvement, maintes fois annoncé à tort par les éditorialistes lèche-cul de la clique du CAC40. Sans jamais parvenir ni à gommer cette trace indélébile dans la société française, ni à éteindre le feu de récurrents pics insurrectionnels qui ont eu de quoi effrayer véritablement l’élite politico-économique, notamment à Paris, mais aussi dans toutes les grandes métropoles françaises. Malgré les milliers de blessé·es, les centaines de mutilé·es et de gueules cassées, de prisonniers politiques, le mouvement s’est maintenu dans son intensité pendant de longs mois, et il aura fallu une lente évolution, brutalement stoppée par la crise du coronavirus, pour qu’il perde finalement sa superbe.

© Ricardo Parreira

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Dans ce souffle spontané et sans structure idéologique, rejetant leaders, partis politiques et syndicats, les divisions étaient inévitables, et le pouvoir n’a pas manqué de les accentuer au fil du temps chaque fois qu’il l’a pu : violence ou non violence, désobéissance ou légalisme, convergences ou indépendance… Si un certain nombre a fini par raccrocher le gilet, parfois heurté dans sa chair par la répression, déçu par les dissensions internes ou par le manque de résultats concrets, l’immense majorité des Gilets jaunes aura au final pris goût à l’exercice du rapport de force politique, se mettant en recherche d’autres formes d’expression et de lutte, certain·es intégrant les autres mouvements sociaux ou écologistes, d’autres expérimentant de nouvelles formes de militantisme à travers des mouvements citoyens. Malgré cela et en dépit des pronostics des acteurs du système, le mouvement en lui-même demeure. En pleine crise sanitaire, la mobilisation nationale du 12 septembre 2020 l’a à nouveau démontré, et le mouvement continuera sans doute à perdurer de manière sporadique dans le temps.

Précurseur, intimement lié au flux planétaire des révoltes sociales à l’heure de la mondialisation, le mouvement des Gilets jaunes aura eu le mérite d’avoir, comme un moustique, piqué et empêché sans cesse la sérénité d’un gouvernement sourd aux aspirations populaires et aux enjeux sociaux d’un 21ème siècle qui voit l’espèce humaine placée face à sa propre extinction. Entraînant une radicalisation de la sphère politique, révélant le vrai visage du pouvoir et des rapports de domination, il aura été la première pierre d’un lent réveil social qui trouve aujourd’hui dans la crise sanitaire et économique de probables motifs d’accélération et d’amplification. Il n’est pas à douter que cette politisation de larges pans de la population répondra de manière cruciale à celles et ceux qui vont à leur tour se jeter dans la rue pour la première fois de leurs existences.

Et il est certain que, quelle que soit l’évolution du cours des choses, l’esprit Gilet jaune perdurera à travers toutes celles et ceux qui l’ont porté sur leurs épaules, au milieu des gaz, des grenades et des tirs de LBD, avec son esprit de corps, solidaire, uni, et farouchement contestataire. Joyeux anniversaire, et Vivent les Gilets jaunes !

Tous les reportages de la Mule pendant les manifestations Gilets jaunes

© Photocratie

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© Ricardo Parreira

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© Alix D

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© R. Parreira

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