Ce sont trois rapporteurs spéciaux de l’ONU qui ont répondu à la saisie de l’instance par la Ligue des droits de l’Homme, à propos de la proposition de loi de Sécurité globale qui commence ce jour son passage devant l’Assemblée nationale. Soutenue par le gouvernement qui en a demandé l’examen en procédure accélérée, cette proposition est décriée de toutes parts (sinon celle de la police) pour ses excès liberticides qui vont propulser la France vers un État policier.
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Dans un courrier adressé au président de la République Emmanuel Macron, les rapporteurs issus du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU mettent en garde contre le fait que “l’adoption et l’application de cette proposition de loi puissent entraîner des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique, tels qu’établis dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme“.
Ce sont bien évidemment les articles 21 (transmission en temps réel des images des caméras piétons des forces de l’ordre au centre opérationnel), 22 (enregistrement et transmission des images tournées par les drones), et 24 (interdiction de diffuser l’image de policiers identifiables) qui retiennent particulièrement l’attention de l’ONU, qui considère dans son courrier, “que les dispositions […] de cette proposition de loi, en leur état actuel, sont susceptibles de porter une atteinte disproportionnée à de nombreux droits, libertés fondamentales et principes généraux de droit, de manière non conforme aux obligations énoncées dans les traités internationaux. […] Cette proposition de loi qui émerge dans le contexte général de la lutte “anti-terroriste”, paraît également refléter un manque de précision qui serait susceptible de porter atteinte à l’état de droit.”
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Nous rappelons que le terrorisme constitue un défi sérieux pour les principes de l’état de droit, la protection des droits de l’homme et leur mise en œuvre effective. Lutter efficacement contre le terrorisme et garantir le respect des droits de l’homme ne sont pas des objectifs concurrents, mais complémentaires et se renforçant mutuellement, comme l’a reconnu à l’unanimité l’Assemblée générale des Nations Unies dans la stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme.
Les rapporteurs expliquent que même au regard du contexte sécuritaire lié à la menace terroriste et à l’explosion des capacités technologiques, les États doivent respecter le principe de proportionnalité entre la protection de la population et le maintien de ses libertés et droits les plus fondamentaux. La proposition de loi sur la sécurité globale apparait comme largement disproportionnée, dans le fait qu’elle vient largement renforcer l’état policier et entraver les principes les plus élémentaires de la liberté d’informer, mais aussi de manifester.
En outre, ces nouvelles dispositions ne seraient pas non plus en adéquation avec les standards internationaux relatifs à la bonne gestion des rassemblements selon lesquels «un dialogue ouvert entre les autorités (y compris les autorités chargées de recevoir les notifications et les responsables de l’application des lois) et, lorsqu’ils sont identifiables, les organisateurs de la réunion avant, pendant et après la réunion, permet d’adopter une approche axée sur la protection et la facilitation[de l’exercice du droit de réunion pacifique], ce qui contribue à apaiser les tensions et à empêcher que les problèmes ne dégénèrent.
On peut voir avec le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre promu par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, est loin de remettre en cause la doctrine actuelle du maintien de l’ordre en France, qui a aboutit aux résultats catastrophiques que l’on connait avec la mobilisation des Gilets jaune : des milliers de blessés et de prisonniers politiques. Le gouvernement est très loin de la recherche d’un équilibre qui permettrait d’apaiser les tensions sociales que ses politiques tendent à générer.
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Alors qu’une crise économique et sociale sans précédent est attendue suite à la crise sanitaire, il n’est pas à douter que le gouvernement cherche avant tout à se prémunir des retombées massives sur le mouvement social que pourrait avoir l’augmentation drastique de la pauvreté en France. Une fois de plus est confirmé l’image d’un État qui ne repose plus que sur sa police pour couvrir les effets des politiques néolibérales inégalitaires menées depuis des années et dont Macron s’est fait le parangon. Et qui cherche à tout prix à museler la presse libre et indépendante, celle-là même qui a permis aux images des multiples violences policières de faire leur chemin depuis les terrains de manifestation ou les réseaux sociaux jusque dans les massmedia, mettant le pouvoir dans un embarras certain.
Bien que la proposition de loi précise que seront sanctionnés les seuls cas où la diffusion d’image aura «porté atteinte à son intégrité physique ou psychique […] d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police», nous estimons que cette disposition est insuffisamment précise, contrairement aux exigences de légalité, et pourrait décourager, voire sanctionner ceux qui pourraient apporter des éléments mettant en avant une possible responsabilité des forces de maintien de l’ordre dans des violations des droits de l’homme, et donc conduire à une certaine immunité, produisant une situation d’impunité pour des actes contraires aux droits de l’homme. Nous rappelons, en effet, que la recherche d’infractions commises par des agents de forces de l’ordre, ainsi que les poursuites à leur encontre en vue de lutter contre l’impunité est un tenant essentiel des valeurs démocratiques.
Nous rappelons, dans ce contexte, l’importance d’une presse libre qui contrebalance les pouvoirs régaliens de l’Etat, qui permet de surveiller et de dénoncer les abus commis par l’autorité et qui garantit la démocratie. Dans cette perspective, nous rappelons, comme le stipule le paragraphe 13 de l’Observation Générale no. 34 sur l’article 19 du PIDCP, que «l’existence d’une presse et d’autres moyens d’information libres, sans censure et sans entraves est essentielle dans toute société pour garantir la liberté d’opinion et d’expression et l’exercice d’autres droits consacrés par le Pacte. Elle constitue l’une des pierres angulaires d’une société démocratique […]. Cela exige une presse et d’autres organes d’information libres, en mesure de commenter toute question publique sans censure ni restriction, et capables d’informer l’opinion publique»
Photographie de couverture : Photocratie.
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