Cédric Chouviat, victime de la violence d’État, fruit du sécuritarisme

Une soixantaine de personnes ont répondu à l’appel lancé par les Gilets jaunes des Près d’Arènes sur la place de la Comédie ce dimanche 3 janvier à Montpellier, afin d’honorer la mémoire de Cédric Chouviat, ce chauffeur-livreur décédé suite à son interpellation brutale par la police il y a de cela un an. Des prises de paroles ont été tenues par plusieurs intervenant·es : Gilets jaunes, syndicalistes, citoyen·nes. Celles-ci se voulaient évoquer l’ensemble des victimes de la violence d’État, mises en lien avec les packages législatifs sécuritaires et répressifs qui se succèdent et illustrés actuellement par les lois de Sécurité Globale et contre le Séparatisme.

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A Paris, plusieurs centaines de personnes ont pris part à une marche blanche et ont dénoncé l’absence de sanctions administratives contre les agents auteurs de l’homicide, dont trois d’entre eux sont mis en examen.

Au delà de Cédric Chouviat, c’étaient toutes les victimes des violences d’État qui étaient donc invoquées : Steve Maïa Caniço, Zineb Redouane, Mohamed Gabsi notamment, décédé à Béziers pendant le premier confinement… Celles et ceux qui “ont eu leurs vies fauchées par ces interventions policières mortelles que les donneurs d’ordre cherchent toujours à camoufler et dont ils veulent s’assurer qu’aucune vidéo ne les fera connaître“. Le lien était ainsi mécaniquement fait entre les politiques sécuritaires et répressives menées depuis des décennies et les violences policières, aboutissant à des décès comme à des blessures ou mutilations, dans des contextes aujourd’hui diversifiés.

C’est pour combattre l’escalade liberticide de ce gouvernement que nous sommes ici.

L’occasion donc de fustiger les projets de Loi contre le séparatisme et de Loi de Sécurité Globale, menés tambours battants par le gouvernement alors que la population subit confinements et couvre-feus successifs. “C’est pour combattre l’escalade liberticide de ce gouvernement que nous sommes ici.” Les gilets jaunes dénoncent des dispositions législatives faites pour museler la population et forcer son adhésion à l’ordre social dominant, celui de la finance, alors que la crise économique et sociale aggrave très fortement la précarité.

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La criminalisation potentielle du fait de filmer les forces de l’ordre s’inscrit ainsi dans la nécessité pour le pouvoir d’invisibiliser les dégâts engendrés par l’utilisation répressive des forces de police, et tous les dérapages qu’elle entraîne, lorsqu’elle ne découle pas d’ordres précis. C’est en ce sens que le père de monsieur Chouviat, dont les vidéos du décès ont permis de contredire la version des autorités, s’était joint aux efforts du milieu journalistique quant à l’article 24 de la Loi de Sécurité Globale.

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Si cette dernière consacre la voie répressive entamée sous l’impulsion de nos gouvernants par l’institution policière, la loi dite contre le Séparatisme met quant à elle en danger la liberté d’opinion comme d’association ou d’enseignement, remettant même en cause les fondements primordiaux de la loi de 1905 sur la laïcité.

On voit ici un concentré du projet de Macron : créer les conditions pour que toute critique, toute opposition, devienne illégale ou suspecte. Avec cette loi, nous devenons tous suspects de séparatisme. Voilà pourquoi ils veulent élargir le fichage, chaque individu étant une partie du corps de l’État, il doit maintenant montrer patte blanche devant la nécessité d’adhérer à l’État : que deviennent la liberté d’opinion, la liberté de conscience, la liberté d’expression ? L’adhésion à la République est libre : aucune loi ne peut la forcer.”

Des moyens de la Lutte, et de ses buts

Si un membre de BDS France a souligné un lien particulier existant entre les politiques sécuritaires menées en France et en Israël, on constate cependant que le réflexe répressif et stigmatisant – quelle que soit sa forme – reste nécessairement le même pour tout pouvoir : Chine, Hong-Kong, Thaïlande, Égypte, Biélorussie, Algérie, Chili, Turquie, Birmanie, Israël, Iran, France, USA, etc… partout autour du monde où ont lieu des contestations politiques éminemment dangereuses pour les gouvernants et le sommet de la pyramide socio-économique, partout où des apartheid sociaux voire ethniques accouchent des ferments de la révolte, on assimile – progressivement ou non – les populations “réfractaires” à des “factieux” ou des “terroristes”, et on donne les moyens de sa militarisation croissante au maintien de l’ordre. Celui-ci se fait ainsi avant toute chose le maintien de l’ordre social établi plutôt que de l’ordre public. De manière plus générale, le sécuritarisme, serpent de mer politique des sociétés modernes, semble être une mise à jour constante des possibilités techniques de la répression d’État.

Certaines interventions sont revenues sur les moyens de lutte face au gouvernement, rappelant notamment l’interdiction, par le Conseil d’État, de l’usage des drones policiers suite à une intense mobilisation menée par la Quadrature du Net. Face à des gouvernants qui ne se contentent pas de se faire sourds aux manifestations mais s’emploient en plus à les réprimer violemment, la question de la mobilisation de la Justice et de son efficacité est posée. S’il est certain qu’elle peut permettre d’éviter des défaites (et parfois gagner des batailles), elle ne fera toutefois pas changer la nature d’un système oppressif reproduisant la même sempiternelle domination sociale, et dont elle est aussi en partie l’instrument. Comme ont insisté certain·es, il est donc primordial pour les luttes en cours de s’élargir et de former un front uni pour la conquête de nos libertés.

2021 sera-t-elle l’année d’une union massive ? En plein confinement, malgré la répression brutale des cortèges dans certaines villes, la mobilisation contre la Loi de Sécurité Globale a donné lieu à l’échelle du pays à une convergence nouvelle entre divers milieux militants, syndicalistes, gilets jaunes, et un ensemble conséquent de la population, auxquels se sont parfois jointes des mouvances plus radicales. Ce mouvement est dans la situation actuelle certes encourageant par son ampleur, mais ne se heurtera-t-il pas nécessairement à sa victoire ou à sa défaite quant au devenir des projets de lois qu’il combat ? Empêchera-t-il jamais le gouvernement de continuer sa dérive sécuritaire à travers d’autres projets législatifs ?

Seule une mobilisation massive portant des revendications proactives claires, couplées à une diversité de tactiques militantes – radicales comme modérées, et surtout capables de ne pas se tirer dans les pattes – semble à même de permettre l’aune d’un changement dans les comportements politiques des élites (sans toutefois en remettre en question l’ensemble systémique, en l’absence de perspectives révolutionnaires). Ce qui pourrait être progressivement esquissé par le mouvement actuel contre ces projets liberticides, reposant désormais sur des “marches des libertés”, mais qui pour survivre devrait nécessairement s’inscrire dans des exigences politiques et revendications nouvelles et, en présence de multiples fronts préexistants, rechercher les conditions de la complémentarité des luttes plus que de leur convergence.

Au final, pour ce qui est de cette nouvelle année de combats, comme le dit sagement un Gilet jaune biterrois reprenant les mots du philosophe Henri Bergson : “son avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons en faire.







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