Droits des femmes et minorités de genre : 2020 année du backlash ?

2020. 106 féminicides1 en France. L’Ecosse, premier pays à rendre libre et gratuit l’accès aux protections menstruelles. Deux femmes victimes de viol2 par minute dans le monde. Kamala Harris première vice-présidente élue aux Etats Unis. Un tiers du territoire polonais autoproclamé « zone sans LGBT ». Pénalisation de l’excision au Soudan et décriminalisation des violences conjugales en Russie. 30 décembre 2020, l’Argentine penche en faveur du droit à l’IVG. 2020, une année très mitigée en matière de droits des femmes et des minorités de genre.

Deux pas en avant, trois pas en arrière. C’est parfois ce qui semble être la tendance du point de vue international. Que la Suisse se réjouisse d’avoir interdit les mutilations chez les enfants né∙es intersexe ; pendant ce temps-là, la Pologne tente de rendre l’avortement quasi-illégal. Si un certain nombre de victoires notables sont remportées en faveur des femmes et minorités de genres, elles semblent cependant bien maigres en comparaison des violentes régressions que subit le droit dans toutes les régions du monde.

Une hausse dans le recensement des violences

Lorsque ce n’est pas au droit, c’est à la vie de ces personnes qu’on s’en prend directement. 236 victimes de crimes transphobes3 dans le monde entre janvier et septembre 2020. Les Etats Unis sont toujours le pays qui comptent le plus de plaintes déposées pour viol. Tous les chiffres de violences augmentent. Parallèlement, les langues se délient. MeeToo, Balance Ton Porc, mais aussi des performances comme Un violador en tu camino (un violeur sur ton chemin), traversent désormais les frontières, prenant une dimension internationale.

La hausse de ces chiffres s’explique donc en partie par les témoignages de plus en plus nombreux des violences subies par les femmes et minorités de genre. En 2020, la parole est – ou est en bonne voie – de se libérer. Encore faut-il en tenir compte.

Lorsqu’un Gérald Darmanin est nommé ministre de l’Intérieur, qu’un député canadien Harold Le Boel, pourtant accusé d’agression sexuelle, continue à exercer ses fonctions ou que 80 % des femmes emprisonnées en Russie sont accusées de s’être défendues face à un conjoint violent4, il est évident que ces problématiques sont encore loin d’être une priorité pour l’ensemble des gouvernements. Et pour ne rien arranger, la crise sanitaire, qui a accaparé tous les gouvernements et médias, a eu elle aussi son effet.

Les faux espoirs de la crise sanitaire en France

C’était à croire que le monde s’était arrêté. Pendant des mois et des mois, la crise sanitaire était au centre de l’attention de tous les médias. A crois que le monde avait arrêté de tourner et que les violences s’étaient arrêtées. C’est pourtant tout l’inverse qu’il s’est produit. Selon Marlène Schiappa, ministre déléguée à l’égalité femmes hommes, la France a enregistré pendant le premier confinement de mars-avril 2020 une hausse de 30 % des plaintes pour violences conjugales. Fort de ce constat, le gouvernement aurait-il donc mis en place des mesures concrètes pour aider les victimes, comme le réclament depuis longtemps de nombreuses associations féministes et spécialisées dans la prise en charge de ces victimes ? Non.

Pire que cela, le gouvernement a annoncé à la fin de l’année la privatisation et la mise en concurrence du 3919, le service d’aide aux victimes de violences conjugales. Une solution vide de sens, quand on sait que les associations qui gèrent ce numéro demandent depuis des années plus de moyens, mais tellement plus facile.

Cependant, reconnaissons que la crise sanitaire n’a pas que du mauvais. Elle a été l’occasion de voir mises en avant de nombreuses professions de l’ombre. Des personnes habituellement méprisées se révèlent tout d’un coup indispensables. Caissier∙ères, aides soignant∙es, éboueur∙ses, et tant d’autres. Ces personnes, applaudies parfois le soir à 20h, sont en premières lignes, et on leur témoigne une reconnaissance comme jamais auparavant.

Cette prise de conscience fut aussi fulgurante qu’éphémère. A la vue de ces chiffres, on aurait donc pu s’attendre à une attention plus particulière portée à leur égard en ce qui concerne la gestion de la crise sanitaire. Dans les hautes sphères de l’État, pas un mot pour ces personnes du « bas de l’échelle », encore moins une consultation. Leur a-t-on même proposé de s’exprimer ? Alors prendre en compte ces différences genrées, qui ont un poids énorme sur la précarisation des conditions de vie des femmes, n’y pensons même pas.

La reconnaissance des dirigeantes

« Qu’ont en commun les pays ayant les meilleures réponses aux coronavirus ? Les femmes dirigeantes », titrait le magasine Forbes en avril 2020. S’il faut être prudent avec cette affirmation, au risque d’enraciner encore quelques clichés sexistes, la crise aura eu le mérite de mettre en avant ces dirigeantes, encore trop peu nombreuses. Angela Merkel en Allemagne, Jacinda Ardern en Nouvelle-Zélande ou Erna Solberg en Norvège se sont illustrées par les bons résultats de leurs pays pendant la première vague. Ainsi le débat a-t-il été lancé – mieux vaut tard que jamais – sur la place des femmes aux postes de dirigeant∙es d’états au rayonnement international.

Si les enquêtes sur le sujet sont encore assez peu nombreuses et se contredisent, un élément fait consensus : les pays où la gestion de la crise semble la moins désastreuse du point de vue du nombre de victimes sont aussi ceux où la politique égalitaire du point de vue du genre est la plus avancée et où les moeurs sont les plus ouvertes à ces sujets5.

Les minorités de genre encore dans l’ombre

Ce ne sont pas les maigres avancées pour les droits des minorités de genre qui auront changé radicalement les choses cette année 2020. Pour preuve, encore 13 pays dans le monde criminalisent la transidentité. Les plus cyniques pourraient ajouter qu’au moins, ils la reconnaissent, car ce n’est pas non plus encore le cas de tous les pays. De plus, reconnaître la transidentité est une chose, encore faut-il mettre en place une législation favorable aux personnes transgenres ou non binaires. Dans la majorité des pays, le changement de genre est encore une procédure longue et difficile – quand elle existe – et les violences contre ces personnes sont peu reconnues et encore moins punies.

Et pour cause, peu de dirigeants transphobe s’en cachent. Certains s’en vantent même, comme le président du Brésil Jair Bolsonaro. La future vice-présidente des Etats Unis Kamala Harris est, elle, connue pour avoir plaidé le droit de refuser à une femme transgenre incarcérée l’accès à sa transition médicale. Plus grave, la Hongrie a simplement supprimé la reconnaissance de l’existence des personnes transgenres en mai 2020.

 

Le droit des minorités de genre, peut être plus que celui des femmes en général, peine à évoluer. Les régressions sont même plus importantes, plus lourdes de sens. Il semble se créer une véritable fracture au niveau international. Les pays les plus avancés, continuent doucement leur chemin ; les autres stagnent, quand ils ne régressent pas.

Un militantisme bien vivant

Ce que l’on retiendra de cette fin d’année c’est le pas de géant en avant de l’Argentine en matière de droits des femmes et minorités de genre. C’est après une longue bataille que le Sénat argentin a approuvé la légalisation de l’IVG. Une victoire qui vient éclaircir cette fin d’année difficile pour le militantisme, qui reste très présent malgré tout. Il prend même dorénavant de multiples formes. On ne compte plus les comptes sur les réseaux sociaux qui informent, sensibilisent et éduquent aux différentes formes de féminisme, en France rares sont les villes dans lesquelles des groupes de colleureuses ne tapissent pas les murs de slogans féministes, et les mouvements populaires dépassent les frontières. Pour de plus en plus de personnes, militer est au cœur de leur quotidien. Et cela va, à n’en pas douter, continuer en 2021.

 

Sources :

  1. Recensement par le compte Féminicides par compagnons ou ex : 97 par compagnons ou ex + 7 par tiers
  2. Chiffres du Bureau de la Drogue et du Crime de l’ONU (UNODC)
  3. Chiffres de Trans Murder Monitoring
  4. Chiffres de l’ONG Freedom House
  5. Etude de l’Université d’Harvard « Gender in the time of COVID-19: Evaluating national leadership and COVID-19 fatalities»






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