À Paris, la manifestation contre la loi sécurité globale sous une chape de plomb policière

Vers 13h ce samedi 16 janvier, le douzième arrondissement de Paris se trouve envahi par la neige… et par la police. Un dispositif policier très important est déployé aux alentours du Boulevard Daumesnil, en prévision de la manifestation contre la loi de sécurité globale, qui doit partir de la place à 14h pour arriver sur la Bastille.

Le trajet est court et la neige continuera à tomber jusqu’à la fin de cette journée de mobilisation, ce qui fait prévoir une journée tranquille et avec peu d’affrontements. Malgré ça, pour arriver à la manifestation il faut dépasser deux cordons de policiers et se soumettre à la fouille des sacs et parfois même des corps. En arrivant vers la place, nous voyons des personnes se faire contrôler contre un mur, puis nous sommes arrêtés par la police. L’amie qui est avec moi a des lunettes de ski dans son sac, qui sont trouvées par les policiers lors de la fouille. Cela est suffisant à justifier un contrôle plus approfondi selon le policier qui décide de nous faire attendre une dizaine de minutes avant de nous laisser passer.

L’atmosphère est plutôt festive dans le cortège et plusieurs systèmes son diffusent de la musique techno. Sur quelques pancartes, on demande la libération des organisateur·rices de la rave party du nouvel an à Lieuron.

La préfecture de police communiquera plus tard avoir « verbalisé les organisateurs » d’une «rave party non déclarée à proximité de la manifestation » et Gérard Darmanin se félicitera avec les policiers d’avoir « empêché la tenue d’une rave party à côté de la manifestation ». Cette formule, qui révèle d’ailleurs l’ignorance de ce qu’est une rave party, vise à délégitimer la présence de musique et de personnes qui dansent aux sein des manifestations. À la fin de la journée, on compte 24 interpellations à Paris et 75 dans toute la France.

Malgré la tranquillité de l’événement, plusieurs éléments empêchent de se sentir à l’aise dans la foule. En premier lieu la présence massive de la police, nasse mobile qui encadre le cortège aux deux côtés, parfois avec un double cordon. L’intervention des policier·es est fréquente, parfois même sur une base individuelle, comme pour cette policière qui entre dans le cortège devant mes yeux et rappelle à l’ordre une manifestante qui venait de lancer une boule de neige. Heureusement, des personnes solidaires interviennent pour calmer la policière et l’empêcher d’aller plus loin. Les fouilles de journalistes sont aussi fréquentes, comme j’ai pu le voir et l’entendre en discutant avec des collègues.

En arrivant vers la place de la Bastille, les cordons de police commencent à accélérer la marche pour s’arrêter à la lisière des boulevards attenants. Bastille dévient une nasse géante, avec toutes les sortie bloquées par des cordons et plusieurs véhicules de police, certains avec des canons à eau. À ce point il ne reste plus qu’à attendre que le cortège défile, écouter les derniers morceaux de la fanfare et danser un peu sous les sons de la « rave party », pour ensuite… chercher la sortie. Et ce n’est pas facile, car la sortie est unique, sur le boulevard Richard Lenoir, où tous et toutes les manifestant·es qui souhaitent partir s’affolent.

Dans une journée si pacifique et festive, il est légitime de se demander à quoi bon déployer un dispositif policier si manifestement disproportionné, sinon pour faire une démonstration de force. Si quelque chose s’était passé sur la place au sol glissant, dans le cas d’une charge de police il y aurait eu sûrement des blessé·es. De la même façon, tout au long du cortège la sensation n’est pas de sécurité mais de tension : la présence policière vise explicitement à intimider les manifestant·es (et les journalistes) présent·es.

Pour pouvoir lutter contre les violences policières, il faut aussi commencer une large réflexion sur le sens même de l’existence de la police et sur sa fonction d’ordre public, en écoutant toutes les voix qui se lèvent sur le sujet, à partir de celles des abolitionnistes pour arriver à ceux et celles qui demandent une diminution des fonds dédiés à la police et un désarmement des forces de l’ordre.

La manifestation de samedi devrait aussi engendrer une réflexion au sein du mouvement contre la loi sécurité globale sur le sens à donner au fait même de manifester lorsque la présence des forces de l’ordre est si massive et étouffante. À partir des parcours des cortèges jusqu’aux stratégies employées tout est à remettre en question, pour développer des nouvelles formes d’expression de l’opinion publique qui soient vraiment efficaces.

La situation bloquée de samedi peut difficilement être considérée comme un succès par d’autres que la police et la rhétorique sécuritaire. Or, il n’est pas question ici de la sécurité des personnes, mais de l’encadrement donné par la police, qui ne permet à aucun.e d’échapper aux contrôles et potentiellement d’élever une voix «différente», ou simplement d’aller manifester autre part que là où il est prévu. La « sécurité » des manifestant·es signifie en réalité l’impossibilité de changer de parcours, même d’amener en cortège un système de son de plus : où allons nous tracer la ligne entre ça et la limitation de la liberté d’expression ? Comment allons-nous nous apercevoir du glissement vers le contrôle complet du discours public si nous acceptons déjà ce type de contrôle ? Le sujet est important et il doit être débattu dans les médias, dans les assemblées, là ou se forme l’opinion publique. Étant donnée la large participation aux marches des libertés et la méfiance diffuse envers la police en France, il me semble qu’une telle réflexion ne serait pas seulement possible en ce moment, mais très féconde.

Face à un ministre qui se réjouît de la quantité d’interpellations et qui prend systématiquement le parti de la police, il serait naïf d’espérer des institutions de ce pays une réponse autre que « sécuritaire ». Par contre, il serait aussi dangereux de s’habituer à des manifestations si fortement encadrées, avec un danger réel de limitation de la liberté d’expression. Pour défendre notre capacité d’informer et la liberté de manifestation, nous devons questionner et agir contre cette présence policière même lorsqu’elle ne cause pas de dégâts.







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