Le 17 mai 1990, l’OMS prenait une décision qualifiée d’ « historique » en rayant l’homosexualité de la liste des maladies mondiale. Quelle avancée. Depuis 31 ans, les personnes se reconnaissant dans la communauté LGBTQI+ seraient donc libres. Libres de se montrer sans gêne dans la rue, libres de se sentir en sécurité dans l’espace public, libres de se voir correctement représentées dans les médias, au cinéma, ou à la télévision, libres de ne pas voir leur genre ou orientation sexuelle assigné uniquement à une catégorie porno, libres de ne pas risquer agression, lynchage ou torture en simplement se montrant … Libres en somme, de vivre.
Le 17 mai marque la journée internationale de lutte contre les LGBT+phobies. Signe que les violences sont toujours nombreuses et que la liberté reste une utopie, un objectif vers lequel tendre. Et pour porter ce combat ielles étaient quelques centaines ce week-end à se mobiliser dans les rues de Montpellier avec un rassemblement et une manifestation organisés samedi par SOS homophobie et Fierté Montpellier Pride et une « action pancarte » dimanche après-midi, portée par le collectif CQFAD+.
« On en a marre d’être calmes, d’être patient∙es, d’être pédagogues face aux discriminations. Il faut que ça change et que ça change maintenant. » Dès samedi, 14 heures, le ton est donné.
Violences en tout genre(s)
Comment formuler, comment exprimer la violence que subissent les personnes LGBTQI+ au quotidien ? « C’est une agression tous les trois jours environ », selon le rapport annuel de 2021 de SOS homophobie, publié le 17 mai au matin. Pour certain∙es, c’est au moyen de témoignages, racontés au mégaphone ou inscrits sur des pancartes. « Erreur de la nature », peut-on lire en tête de cortège samedi. Dimanche, c’est par dizaines qu’ils se comptent, étalés aux yeux de tous les passants. « Il a voulu me violer pour me rendre hétéro ».
« Au sein de la société, il y a comme une réalité refoulée à propos des LGBTphobies, affirme Terry, activiste à SOS homophobie. Beaucoup de gens pensent qu’il n’y en a plus, alors que c’est complètement faux ».
La réponse à cette violence, on la retrouve dans ces mobilisations. Il s’agit d’abord de la montrer, la mettre sous le nez de celleux qui ne la verraient pas – ou ne voudraient pas la voir – mais c’est aussi développer une forme de solidarité et d’intersectionnalité. Solidarité entre les personnes de la communauté LGBTQI+ – dont, on le rappelle, certaines sont exclues des études sur les violences, on ne peut donc pas chiffrer, même approximativement les discriminations dont elles sont victimes – mais aussi avec les autres luttes contre les oppressions.
Interpeler la municipalité
« Montpellier avait la réputation d’être la ville la plus « gay friendly » de France, assure Quentin, militant SOS homophobie. On y a célébré le premier mariage gay et le premier mariage lesbien. Mais aujourd’hui, c’est plus vraiment le cas. » Peut-être faudrait-il préciser aux autorités qu’afficher un logo ou s’afficher avec un drapeau aux couleurs arc-en-ciel un jour dans l’année, ce n’est pas vraiment prendre un engagement dans la lutte contre les LGBT+phobies. « Ce qu’on demande à Michael Delafosse, ce sont des mesures fortes. »
Même son de cloche dimanche lorsque, sur la Comédie, cœur de la ville de Montpellier, les activistes apostrophent le maire sur son absence de prise de position concernant l’interdiction des thérapies de conversion, avec une lettre ouverte dont La Mule relaie la version intégrale à la fin de cet article.
« Ce samedi 8 mai 2021, nous avons pu assister à votre séance photo durant laquelle vous posiez avec votre équipe municipale, arborant le drapeau arc-en-ciel, symbole politique de la communauté LGBTQIA+. En cette occasion, nous avons pu nous questionner sur le fondement de cette photo. Comptez-vous prendre position de façon concrète pour le bien de notre communauté, afin d’être cohérent dans votre démarche ? »
Un cercle de liberté pour une parole affranchie de tout jugement
C’est véritablement ça la force de ces mobilisations. Là, au milieu de la Comédie, les militant∙es se regroupent en cercle. « Est-ce que certain∙es souhaitent prendre la parole ? ». Au départ, les témoignages se font timides. Mais très vite, certainement encouragées par les applaudissements, la bienveillance et l’écoute qui émane de la centaine de personnes assise là, les prises de parole se succèdent. Chacun∙e semble se reconnaître dans les paroles d’un∙e autre, qui lui est pourtant souvent inconnu∙e. « C’est la première fois que je prends la parole comme ça, c’est un peu mon coming-out. » « Je suis trans, et j’aime les femmes. » « Moi je sais pas exactement, mais je suis contente d’être avec vous ».
Ielles défilent, affirmant leurs identités, toutes aussi légitimes les unes que les autres. « On a bien inventé les litières qui se nettoient toutes seules, alors pourquoi pas un pronom inclusif ? » Certain∙es vont un peu plus loin, racontant parfois leurs difficultés, leurs coming-outs compliqués, des agressions dont ielles ont été victimes. « Mon combat a un nom, celui de la non-binarité ».
Au fil des prises de parole, les réflexions évoluent. De la non-mixité aux moyens de lutte, en passant par le soutien au peuple palestinien. Et tant que victime d’oppression, il faut soutenir les opprimés. « L’union de toutes nos luttes a un prix, celui du pouvoir. Le pouvoir, ça écrase les autres. On ne peut gagner que si on fait face à notre vulnérabilité politique. » Quoi qu’il en soit, à chaque fois, le message est le même. « Soyez fier∙ères, soyez heureuxses, vous êtes qui vous êtes ».
Œuvrer à la visibilisation de la communauté LGBTQI+ ne doit pas se faire un seul et unique jour dans l’année. Il ne doit pas s’agir de la « bonne action du jour », d’une case cochée sur la liste des sujets à aborder à l’occasion pour se donner bonne conscience. C’est un travail du quotidien, que ces collectifs, militant∙es, ou associations assurent avec ténacité.
Parce que l’on parle de vies humaines et que ces actions restent importantes, parce qu’y participer implique pour certain∙es de faire preuve d’un véritable courage, et parce que les droits ne se gagnent pas seuls, retour en images sur ces deux journées de lutte contre les LGBTQI+phobies.
Lettre à l’attention de Michael Delafosse concernant son absence de prise de position sur l’interdiction des thérapies de conversion
Monsieur le Maire et Président de Montpellier Méditerranée Métropole,
Ce samedi 8 mai 2021, nous avons pu assister à votre séance photo durant laquelle vous posiez avec votre équipe municipale, arborant le drapeau arc-en-ciel, symbole politique de la communauté LGBTQIA+. En cette occasion, nous avons pu nous questionner sur le fondement de cette photo. Comptez-vous prendre position de façon concrète pour le bien de notre communauté, afin d’être cohérent dans votre démarche ?
Nous savons que Montpellier a été élue ville la plus gay-friendly en 2012 par les lecteur.ices du magazine Têtu. Nous nous souvenons également que Hélène Mandroux, mairesse à l’époque, a milité pour faire adopter la loi sur l’ouverture de l’union des couples de même genre, menant en 2013 au premier mariage d’un couple de même genre en France, à Montpellier. La ville a également accueilli le Congrès Européen et International des Prides et Fiertés en 2016. La ville de Montpellier s’est donc déjà engagée en faveur des droits LGBTQIA+ et a démontré sa capacité à influencer en ce sens le reste du pays. Cependant, en cette période de montée de l’extrême droite et des mouvements réactionnaires, un engagement de façade, performatif, ne peut être suffisant.
Le 26 septembre 2020, vous avez déclaré être engagé depuis toujours auprès des associations LGBT. Vous avez même confirmé votre résolution totale contre “l’intolérance, l’homophobie, l’obscurantisme”. Cela tombe bien, car nous souhaitons attirer votre attention sur l’actualité de ces questions.
Les thérapies de conversion, ces séances de tortures inhumaines qui veulent “convertir” les LGBTQIA+ à l’hétérocisnormativité, et qui sont déjà interdites dans plusieurs pays, demeurent autorisées en France. Les témoignages sont légion sur les violences physiques et psychologiques qui y sont endurées. Les victimes sont souvent des adolescent.es, forcé.es par des familles chrétiennes intégristes de suivre ces thérapies. Ces violences sont présentes dans certaines communautés religieuses (Torrent de vie et Courage entres autres) mais aussi dans le corps médical, auprès de psychologues, psychanalystes, sexologues… De nombreuses personnalités prennent actuellement position sur ce sujet : des artistes tels qu’Eddy de Pretto ou Hoshi, mais aussi des personnalités politiques comme la députée Laurence Vanceunebrock qui a émis à ce sujet une proposition de loi (Proposition de loi nº 4021 interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne).
Le 11 mai 2021, Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, a déclaré que cette proposition de loi ne serait pas étudiée à l’Assemblée Nationale. Le code pénal interdisant les délits d’abus de faiblesse, de harcèlement, de discriminations, ainsi que les propos homophobes et les violences volontaires et le code de la santé publique interdisant le recours à l’exercice illégal de la médecine, elle estime que les thérapies de conversion sont déjà interdites et annonce que le Ministère de la justice publiera prochainement une circulaire visant à rappeler le droit existant. Or la légalisation actuelle est insuffisante puisque les thérapies de conversion, loin d’appartenir au passé, sont encore bien vivantes, même à Montpellier, et nécessitent de manière urgente l’attention du monde politique. Un enjeu vital que l’ONU et l’Union européenne ont bien compris. En effet, en mars 2018, le Parlement européen a adopté à une large majorité un texte non-contraignant appelant les États membres à les interdire. En 2020, Victor Madrigal-Borloz, expert indépendant de l’ONU sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, a présenté au Conseil des droits de l’Homme un rapport appelant les pays à interdire les thérapies de conversion.
Nous nous inquiétons de constater que malgré l’urgence, le monde politique détourne le regard sur les tortures subies par des personnes non hétérocisnormativées.
Nous vous invitons par la présente à prendre position sur cette question cruciale, et à soutenir avec énergie l’interdiction des thérapies de conversion. Nous souhaitons de tout cœur que Montpellier soit l’avant-garde française de la lutte contre les violences et pour les droits LGBTQIA+. Ce serait une prise de position forte, en accord avec votre résolution, que de condamner ces tortures publiquement.
Nous vous remercions par avance de l’attention que vous porterez à nos revendications, et vous prions d’agréer, Monsieur le Maire et Président de Montpellier Méditerranée Métropole, à nos salutations cordiales.
CQFAD+ – Collectif Queer Féministe Anticapitaliste Décolonial, Sudakas Féministes Montpellier – Groupe latino-américain féministe inter-sectionnel, Bouclier LGBTI – Association d’autodéfense et de lutte pour les droits LGBTI, FLAAM – Front de Lutte Antifasciste et Antisexiste de Montpellier
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