Procès du commando de la fac de droit : des peines avec bracelet et du sursis requis

Le 22 mars 2018 à Montpellier, un commando d’extrême droite, cagoulé et armé de bâtons et de Taser, déloge des étudiants occupant un amphi de la fac de droit pour lutter contre la sélection sociale à l’université. Trois ans après, les 20 et 21 mai 2021, certains des protagonistes sont jugés, dont l’ex prof Jean-Luc Coronel et l’ex-doyen Philippe Pétel, respectivement pour violences et complicité de violences. Au total, cinq peines de prison ferme avec bracelet et deux avec sursis ont été requises par le procureur. Les étudiants agressés dénoncent une enquête insuffisante, et ont même quitté l’audience. Après notre émission au soir de la première journée du procès, Rapports de Force, La Mule du Pape, Le Poing et Radio Gine, regroupés au sein des Médias Indépendants de Montpellier, font un retour sur l’ensemble des audiences.

Aveux et dénis

Six personnes comparaissent devant le tribunal de Montpellier durant ces deux jours de procès. Mathieu Rolouis, un jouteur sétois proche du Rassemblement national Thierry Vincent, ancien colonel de l’armée à la retraite, Jean-Luc Coronel, ancien prof de la fac de droit, royaliste assumé, photographié à l’un des meetings du groupuscule identitaire La Ligue du Midi Martial Roudier, membre de ce même groupe, emprisonné pour avoir poignardé un jeune antifasciste ; et Thierry Puech. Tous les cinq sont accusés de violences volontaires pour avoir directement participé au passage à tabac des étudiants mobilisés.

Mathieu Rolouis, sur le portable duquel les enquêteurs ont pu trouver des photos de casques du IIIe Reich, avait dès son interpellation le 11 septembre 2018 reconnu les faits, position maintenue durant l’audience. Et doublée d’un refus d’incriminer d’autres personnes.

Thierry Vincent et Thierry Puech, interpellés le même jour, et qui avaient commencé par nier avant de passer aux aveux et de mettre en cause certains de leurs amis, reconnaissent aussi les violences. Avec fierté pour le premier, qui fait appel à la figure du général de Gaulle.

Martial Roudier a tout du long nié jusqu’à sa présence autour de la fac de droit, malgré un faisceau d’indices accablants : témoignages divers, bornage téléphonique, premières déclarations de certains des prévenus le confondant. Face à la réalité, il finit par avouer avoir été présent pour aider son ami Jordi Vives Carcelles à couvrir les événements de la journée pour la page d’information Lengadoc-Info, nettement située à l’extrême droite. Pas de chance, le même Jordi, dans les premières auditions face à la police, dit ne l’avoir jamais croisé.

Coronel, alors que de nombreux témoignages le situent en tête de la colonne d’hommes cagoulés qui rentre dans l’amphithéâtre pour mater l’occupation étudiante, dira s’être contenté de quelques gestes de boxe.

Patricia Margand, compagne de ce dernier et directrice de campagne du RN aux législatives de 2017, et Philippe Pétel, ex-doyen de la fac de droit, répondent quant à eux d’une simple « complicité de violences » Pour la première fois depuis le début de l’affaire, l’ex-doyen Pétel, qui avait reçu à l’époque un soutien marqué d’une part de la communauté universitaire, avoue avoir été au courant de l’expédition punitive.

Désistement des parties civiles

L’audience commence par un coup de théâtre : huit personnes constituant une des trois parties civiles, avec un syndicaliste et l’Université de Montpellier dont la fac de droit est une Unité de Formation et de Recherche (UFR), quittent le procès avec leur avocat.

Deux raisons sont invoquées par ces personnes, que nous avons reçues dès le soir du 20 mai dans notre émission de radio. Une crainte que le procès ne devienne celui de l’occupation à laquelle elles ont pris part suite à une stratégie de diabolisation orchestrée par les avocats de la défense. Crainte immédiatement confirmée par la demande de renvoi de l’audience qu’une partie des avocats de la défense y oppose. L’argument de la non-présence des parties civiles ne décide pas le président du tribunal à accepter le renvoi : la procédure est remplie de sollicitations de ces mêmes parties civiles au procureur pour des entretiens, systématiquement refusés.

Les victimes refusent surtout de légitimer un procès dont l’instruction souffre de graves problèmes. Ayant acquis la conviction que l’acquittement est hors de propos au vu du dossier, elles préfèrent donc se retirer et laisser les accusés seuls face au ministère public et au tribunal.

Au lendemain des évènements, le 23 mars 2018, les victimes avaient dû faire face à de nombreuses embuches. Dans un premier temps, les étudiants qui s’étaient rendus au commissariat pour porter plainte s’étaient vus empêchés d’y accéder. Il faudra attendre 16 h, une présence appuyée de la Ligue des Droits de l’Homme et la circulation de l’information dans toute la ville pour que, miraculeusement, le temps manquant aux fonctionnaires de police vienne pointer le bout de son nez. « À ce niveau-là c’est une certitude, commentera l’avocat des parties civiles dans notre émission radio, le Parquet est au courant, et n’agit pas pour que les victimes puissent porter plainte

Les 50 à 70 témoins présents le soir du 22 dans l’amphi A de la fac de droit ne sont pas recherchés par les services de police, ce qui aurait pourtant vraisemblablement permis de confondre plus d’acteurs du commando. Les procès-verbaux d’auditions dans les jours qui suivent ne laissent même pas entrevoir une proposition faite à des personnes convoquées qui se plaignent de violences subies de porter plainte. Le juge d’instruction, censé contacter les personnes victimes de délit au moment de l’ouverture d’une instruction judiciaire pour leur proposer de se constituer partie civile, n’en a rien fait…

Au cours de notre émission, les anciennes parties civiles nous font part d’un sentiment analogue par rapport à la médecine légale. D’après ces étudiants, quand ils vont faire constater leurs blessures par un légiste, ils tombent sur… un ami de Coronel. « Comment s’étonner alors que le maximum prescrit soit une simple journée d’Interruption temporaire de Travail (ITT), quand on sait qu’une des personnes agressées présente une plaie béante sur le crâne ? », s’indigne un des agressés. Pour les victimes, c’est un conflit d’intérêts : cette collusion n’empêchera pas des constatations faites par un ami, attestant de blessures sur la personne de Coronel, d’être utilisées comme argument pendant le procès. « Toutes les procédures mises en place en tant que parties civiles ont été écrasées par l’influence de Pétel et de Coronel dans le milieu du droit montpelliérain. », assène un des étudiants agressés ce soir du 22 mars. Informations bien utiles pour comprendre pourquoi si peu de personnes se sont finalement constituées parties civiles dans cette affaire.

D’autres questions sont en suspens. Des témoins attestent avoir vu la police exfiltrer plusieurs personnes de l’amphi. La préfecture n’a pas voulu, malgré des demandes de l’instruction, donner les comptes rendus des renseignements territoriaux, présents sur place. Même blocage pour l’enquête administrative interne au milieu universitaire.

Des pistes ne semblent pas exploitées jusqu’au bout. Alors même qu’après les six premiers mois d’enquête, un procès-verbal de synthèse de la police indique les directions dans lesquelles chercher : présence d’autres personnes regroupées autour du commando avant l’attaque, nombreux coups de téléphone passés à des personnes bornant près du Château de Flaugergues où il a été avéré que s’est préparée l’attaque…

La seconde partie civile, un syndicaliste frappé plus tôt dans l’après-midi sur le campus, est elle aussi venue pointer les insuffisances de l’enquête : les faits jugés, faute de recherche, n’ont rien à voir avec son agression personnelle. Ce qui laisse seule partie civile restante, l’Université de Montpellier, dont le président Phillipe Augé ne demande aucune réparation. Même pas l’euro symbolique !

Une inversion accusatoire

La défense, désarçonnée par le départ des parties civiles, maintient une stratégie d’inversion accusatoire : les étudiants seraient les violents, le commando serait venu rétablir l’ordre quand la préfecture, contactée par l’administration de la fac, refuse son feu vert à une intervention policière. « Monsieur le Président, quand la maison brûle, vous appelez les pompiers, n’est-ce pas ? Et s’ils ne viennent pas ? Il y a un moment, soit ce sont les institutions qui agissent, soit ce sont les honnêtes citoyens. » : l’ancien militaire Thierry Vincent, signataire de la tribune des barbouzes publiée dans Valeurs Actuelles, assume la constitution de cette milice temporaire.

Alors on va chercher dans le passé des victimes, on va exhumer de vieux posts sur les réseaux sociaux. On remet en question les témoignages des uns et des autres sur la couleur des vêtements portés. On parle « d’état de nécessité », de « riposte bien moindre ». Jean-Luc Coronel a l’attestation produite par le légiste mentionné plus haut, qui témoigne de coups reçus.

On atteint des sommets quand la misère est plaidée pour éviter des interdictions d’exercer à Pétel et Coronel. Le premier aurait du mal à vivre de simples consultations, le second touche le RSA… tout en participant à l’enseignement dans l’Institut de sciences sociales économiques et politiques (ISSEP), l’école de Marion Maréchal Le Pen.

Quatre peines de prison ferme, deux sursis

Quatre mois ferme et six avec sursis ont été requis contre Mathieu Rolouis, Thierry Vincent, et Thierry Puech. Un an ferme pour Martial Roudier, que le procureur voit comme le leader des gros bras. Un an avec sursis pour Patricia Margand. Dix-huit mois de prison avec sursis et une interdiction pendant cinq ans d’exercer un emploi public ont été demandés contre l’ex-doyen Philippe Pétel, déjà sous le coup de mesures similaires après des procédures de condamnations administratives internes au monde universitaire. Et contre Jean-Luc Coronel, dix mois ferme et cinq ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique.

Les peines de prison ferme requises ne le sont pas avec mandat de dépôt, mais avec surveillance électronique. C’est-à-dire que si les demandes du procureur sont suivies, les condamnés n’iront pas en prison. Ils porteront un bracelet électronique. La décision sera rendue le 2 juillet prochain. En attendant, les étudiants qui ont quitté la salle d’audience n’ont pas dit leur dernier mot.

Retrouvez en intégralité notre émission spéciale du jeudi 20 mai, en compagnie des parties civiles et de leur avocat:

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