Montpellier, Paris, Toulouse, Marseille… Mercredi 14 juillet, près de 20 000 personnes au total étaient réunies dans une vingtaine de villes en France pour montrer leur opposition, parfois très véhémente, à l’instauration du Pass Sanitaire et de la vaccination obligatoire pour le personnel de santé annoncée par Emmanuel Macron le 12 juillet dernier. On y retrouve des médecins, des infirmier∙ères, des familles, ou encore des organisations de « réinformation ». Tous types de personnes en somme. Pourtant, plusieurs d’entre elles abordent un signe distinctif. Une étoile jaune, parfois orange, affublée de l’inscription « sans vaccin ». Étoile que l’on retrouve également sur des stickers qui jalonnent les parcours de manifestations. La référence est sans incertitude : celle de la Shoah.
Depuis quelques semaines, les références au IIIe Reich se multiplient. On désigne celleux qui se font vacciner comme des « collabos », Macron est comparé à Hitler, son gouvernement est taxé de « nazi » et les appels à porter l’étoile jaune « sans vaccin » se multiplient sur les réseaux sociaux. Et la tendance est exponentielle ces derniers jours avec l’annonce de la mise en place du Pass Sanitaire. Certain∙es voient même dans ce symbole le nouveau gilet jaune.
Alors pourquoi la comparaison de la honte ? Parce que mettre sur le même plan un génocide sur la base d’une hiérarchie entre les peuples qui a provoqué la mort de 5 millions de Juifs, 2 millions d’homosexuels, 600 000 Tziganes et quelques autres milliers d’opposants politiques ; et des mesures, certes autoritaires, dans le contexte d’une pandémie qui a déjà fait plus de 4 millions de morts à travers le monde, c’est tout simplement banaliser ledit génocide. Pour rappel, l’étoile jaune était apposée sur les personnes désignées comme juives – qu’elles le soient vraiment ou pas – pour les envoyer mourir dans les camps de la mort. Purement et simplement. Pas grand-chose à voir avec celles et ceux qui s’opposent au Pass Sanitaire. Si la mesure est stigmatisante, elle ne risque en rien d’exposer au meurtre les personnes qui ne s’y plient pas.
Pour autant, la lutte contre la mise en place de Pass Sanitaire est légitime. Les mesures liberticides annoncées par Emmanuel Macron, décidées par lui-seul, ou presque, en disent long sur le climat déjà autoritaire de la France ces derniers mois. La répression qui a frappé certaines manifestations cette semaine n’est qu’un des symptômes de cette forme d’autoritarisme. En plus de monter les Français∙es les un∙es contre les autres en stigmatisant celleux qui refusent le vaccin, les mesures restrictives sont présentées comme la seule alternative, ce qui justifie les obligations vaccinales, notamment pour le personnel de santé et les pompiers.
À cet égard, les points de comparaison contemporains ont sans doute plus de pertinence que ceux du passé : la chancelière allemande Angela Merkel a récemment déclaré n’avoir “pas l’intention de suivre la voie que la France vient de proposer”, estimant pouvoir “gagner la confiance en faisant de la publicité pour la vaccination et aussi en laissant autant de personnes que possible dans la population (…) devenir des ambassadeurs du vaccin à partir de leur propre expérience”. Ainsi la différence de logiques à l’œuvre dans le traitement de la pandémie au sein même de l’Union européenne est suffisamment parlante pour nous passer des comparaisons douteuses entre la crise du coronavirus et la politique antisémite nazie.
Ce n’est pas la première fois que ce symbole est brandi pour dénoncer une discrimination. C’est même assez courant et les associations qui défendent les victimes ou les familles de victimes de la Shoah dénoncent cette appropriation de la Shoah depuis longtemps. « Il s’agit d’une paresse intellectuelle et de l’incapacité à défendre un discours autour du sujet défendu. Il s’agit d’une instrumentalisation de notre histoire et nous le refusons. »
La critique des mesures sanitaires prises par le gouvernement ne doit pas virer à l’obscène et à la comparaison avec la Shoah. Les individus vaccinés ne sont pas envoyés vers des camps de la mort en raison de leur appartenance ethnique. (1/2)
— UJFP (@contactujfp) July 13, 2021
Ces comparaisons sont non seulement indécentes mais aussi dangereuses : elles nourrissent le révisionnisme et l’antisémitisme. (2/2)
— UJFP (@contactujfp) July 13, 2021
Il semble important de mesurer l’impact que va avoir ce genre de pratiques sur la population. D’une part sur les victimes de la Shoah, pour qui de telles analogies peuvent paraitre extrêmement violentes et inappropriées. D’autre part, sur l’opinion publique, dont les répercussions peuvent être très graves. L’historienne Valérie Igounet, spécialiste du négationnisme, interrogée par l’AFP, déclarait : « Il y a une banalisation extrême de la politique du IIIe Reich qui permet aux anti-vaccins de s’identifier aux juifs persécutés et de présenter les démocraties libérales comme des régimes génocidaires ». Et voilà le problème, puisque cette banalisation, en plus d’effacer l’extrême gravité de la réalité du génocide juif, ouvre la porte au négationnisme. Et cela prend d’autant plus de place que ces dernières années, les manifestations d’hostilité envers les juifs sont aussi nombreuses.
Enfin, il faut s’intéresser à ce discours dans l’espace médiatique. S’apercevoir que le député Rassemblement National Gilbert Collard, par exemple, adopte lui aussi la rhétorique qui consiste à comparer les anti-vaccins aux juifs, pourrait dissuader d’adopter le symbole. (R)ouvrir ce débat, c’est aussi laisser l’occasion aux nombreux propos antisémites d’être quelques temps repris et amplifiés, sous les feux des projecteurs, et d’offrir à l’extrême droite toujours plus de place dans l’espace médiatique. Le port de l’étoile jaune, une idée facile donc, à laisser tomber.
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