Une centaine de gendarmes et leurs nombreux véhicules, un hélicoptère, des pelleteuses, un incessant ballet de camions bennes… Le lieu-dit du Pradas à Grabels semblait sous état de siège ce matin, alors que les forces de l’ordre procédaient à l’évacuation et à la destruction au moins partielle de la ZAD du LIEN, au nord de Montpellier. Treize personnes ont été placées en garde à vue, de très nombreuses autres arrêtées puis relâchées après un passage au commissariat. Il y aurait au moins un blessé léger parmi les activistes interpellé·es.
Le LIEN, c’est un projet de rocade prenant la forme d’une véritable jonction autoroutière entre les autoroutes A9 et A750. Cette route que le Département prétend « durable », va venir détruire et impacter une centaine d’hectares de terres naturelles ou agricoles, qui forment l’un des derniers poumons verts de la périphérie de Montpellier. À rebours de l’urgence climatique et des alternatives proposées au modèle du tout voiture et de la métropolisation.
Quelle est la base légale de cette intervention ?
À sept heures ce matin, les gendarmes ont pénétré massivement sur la ZAD et sécurisé ses alentours, et ont procédé aux très nombreuses interpellations. La présence d’enquêteurs et de la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) de la gendarmerie supposait une intervention liée à des motifs d’ordre judiciaire. Selon l’un des témoignages que nous avons recueillis auprès des zadistes, une perquisition a été menée dans les habitats et de nombreux objets saisis.
Plusieurs heures après le début de l’évacuation, le préfet de l’Hérault, Hugues Moutouh, a félicité ses troupes sur Twitter pour ce nouveau fait d’armes, qualifié d’opération judiciaire : « Pas d’impunité pour ceux qui agressent les forces de l’ordre et violent la loi. » L’intervention a donc été menée par le parquet, en coordination avec la préfecture. Et c’est finalement le procureur de la République de Montpellier, Fabrice Bélargent, qui a levé le voile sur les motifs de l’évacuation.
« Cette procédure fait suite au dépôt de plainte de plusieurs propriétaires privés et de la commune de Grabels pour installation en réunion sur le terrain d’autrui et, depuis avant-hier, à des actions visant à faire pression sur les ouvriers qui avaient débuté les travaux ainsi qu’à des jets de projectiles divers en direction des gendarmes qui s’étaient déployé sur le terrain pour sécuriser le chantier » a-t-il exprimé auprès de la presse. Les faits de violences sur dépositaires de l’autorité publique justifiant l’opération n’ont pas donné lieu à des ITT pour les gendarmes. Ils se seraient produits lors de la reprise des travaux de déboisement du Pradas, fermement sécurisés par la gendarmerie sur réquisition du parquet, après que les activistes soient parvenu·es à bloquer le chantier quelques heures lundi. Selon nos informations, si de légers heurts ont pu se produire le lendemain, alors que les gendarmes revenaient plus nombreux, le face-à-face se serait très globalement déroulé dans le calme.
Expulsion express
L’intervention, menée sur plusieurs parcelles occupées par des cabanes et autres installations, a créé un moment de stupeur parmi les activistes, convoyé·es par des fourgons en aller-retour permanent jusqu’à la gendarmerie de Saint-Gély-du-Fesc, où certain·es étaient entendu·es en audition libre ou placé·es en garde à vue. Un vent de panique s’est levé lorsqu’on s’est aperçu que des chiens étaient bloqués dans des camions en plein soleil. Dans un premier temps, les gendarmes ont interdit tout accès au parking où étaient garés les véhicules, puis ont fini par céder devant l’insistance d’occupant·es.
Sur place, malgré une certaine courtoisie de forme, les gendarmes ont constamment entravé notre travail de documentation des faits. Lors de notre arrivée sur la zone de l’opération, nous avons été immédiatement prié de quitter les lieux et intimé de cesser de filmer. Les gendarmes nous ont contrôlé à plusieurs reprises et ont pris nos pièces d’identité et cartes de presse en photo avec leurs téléphones portables, parfois des modèles non-homologués. Nos protestations ou notre volonté de continuer notre travail les ont conduits à nous interpeller à trois reprises, sans suites.
Reportage vidéo à venir.
L’État concoure au passage en force du Département
Selon nos informations, comme lors de la destruction récente d’une des barricades de la ZAD sur ordre de la préfecture, la mairie de Grabels n’a pas été tenue au courant de l’opération d’expulsion. Mais difficile de ne pas voir dans cette opération d’ampleur judiciaire, un mouvement d’opportunité de la part de l’État pour imposer le LIEN. Si la position politique du maire René Revol (LFI), historiquement opposé au LIEN, condamnait tout usage de violence, elle n’a jamais rejeté l’occupation de la ZAD en tant que telle.
Alors que la trêve hivernale est en cours depuis le 1er novembre, le parquet et le préfet mettent à la rue des dizaines d’activistes, uni·es pour lutter contre un projet écocide récemment remis en question par le conseil d’État. En effet, saisi par les opposant·es au LIEN, ce dernier a jugé que la déclaration d’utilité publique du projet (DUP) reposait sur une étude d’impact menée par un organisme posant un problème d’indépendance, car relevant de la préfecture. Il a donc sollicité l’avis d’une instance indépendante, la Mission Régionale d’Autorité environnementale (MRAe), laquelle a émis de forts doutes sur la fiabilité de l’étude d’impact et pointé un certain nombre de carences et manquements à la loi. Pourtant, le Département a annoncé dans la foulée son intention de reprendre les travaux dès le mois de novembre, alors même que la DUP risque d’être annulée. Les opposant·es à la route, SOS Oulala en tête, dénoncent ce grave manquement dans le respect des principes démocratiques, et ont appelé à une manifestation ce samedi à 11h devant la préfecture à Montpellier.
Le préfet et le parquet se sont donc saisis sur le moindre jet de projectile qui a pu se produire ces derniers jours, et viennent concourir au passage en force du Département de l’Hérault, en ordonnant une éradication totale de la ZAD et le passage au moulinet de la justice pour de très nombreux activistes… Le tout dans un certain sens du timing puisque faisant suite à l’opération de com’ proprement menée par le gouvernement Macron autour de la COP26, et précédant tout juste la venue à Montpellier de Jean Castex pour officialiser le COM (Contournement Ouest de Montpellier). Il fallait donc faire un peu de ménage alors que le légat du roi descend en grande pompe. Expulser une ZAD, ça doit faire bien… Encore une fois, on comprendra donc, dans tout ce sens du double discours du gouvernement Macron, le rôle et le comportement tout politique du préfet bulldozer.
Ainsi d’un côté, on se loue de la médiocre ambition qu’on place hypocritement dans la lutte contre le dérèglement climatique, de l’autre, on continue de bétonner et développer le mythe de la croissance infinie. Mais gageons que les opposant·es n’ont pas dit leur dernier mot, car ce n’est pas contre une route qu’ils et elles luttent, c’est contre tout un monde qui nous auto-détruit.
Images: Ricardo Parreira
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