Au coeur des camps de réfugié·es du Liban : sans haine, une autre ambiance

Dans un moment historique en France, où certain·es fanfaronnent le verbiage fascisant, alors que la couleur de la peau incite au récit raciste, et que la bienveillance est remplacée par le besoin d’une haine identitaire, rappelons-nous qu’il y a des pays dans le monde qui accueillent des millions de réfugié·es.

Au Liban – dont l’histoire ne nous cache rien et porte en elle la souffrance de conflits idéologiques et religieux qui sont, en réalité, à peine résolus – plus d’un million et demi de Syriens et Syriennes ont trouvé refuge. Le Liban et la Syrie partagent une longue histoire commune. Cependant, depuis la Révolution des Cèdres, le Liban évite l’influence syrienne. À partir de 2011, une guerre civile explose en Syrie. Comme en toute guerre, la mort prend les âmes des voisin·es, des ami·es et pour nombreuses, de connaissances. D‘un coup, le Liban se voit “forcé” à accueillir des centaines de milliers de réfugié·es. Sans capacité logistique ni stabilité politique, il va pourtant, ouvrir ses frontières et compter sur l’aide humanitaire internationale.

Voici des photos qui j’ai tardé à partager, mais qui s’imposent. Face aux discours, qui pointent le migrant, le réfugié, osons regarder une autre ambiance. Celle des camps, remplis d’enfants, de personnes sages, de débrouille, de souffrance, d’amour, de résilience et surtout d’esprits imprégnés d’espoir.

Face aux discours, qui divisent entre celles et ceux qui fuient la guerre et celles et ceux qui fuient la pauvreté, ou la discrimination, osons regarder une autre ambiance. Celle de la joie d’avoir un lieu sur, de se sentir protégé, de pouvoir jeter quelques semences dans la terre, et de savoir qu’on a du temps pour les voir grandir.

Nous avons un pays
nous y avons laissé nos amis
se recueillir autour des chagrins
songer à la neige
pour blanchir les hauteurs de leur solitude
que faire
sous un ciel étranger
à part écouter l’oubli
broder nos années
comme la dentelle
pâtir de nos regrets
à l’air libre
tarir
en lisant des livres

Saleh Diag

Toutes les photographies de ce portfolio ont été prises plus précisément sur la Plaine de la Bekaa. Ils sont le résultat d’une série de visites dans différents camps de réfugié·es sur une période de six mois. Malgré les difficultés ressenties par les réfugié·es, l’ambiance est tout à fait différente quand de celle des camps de refugié·es en France, en Italie ou en Grèce. Pour entrer sur le territoire européen, nombre de ces réfugié·es ont perdu la vie. Une fois ici, ils et elles sont violemment poursuivi·es par des polices européennes, puis enfermé·es dans des camps qui ressemblent davantage à des prisons. Les réfugiés, les sans-papiers européens, vivent dans un état de stress constant, craignant d’être persécutés ou d’être arrêtés par les forces de police.

Parfois, je suis surpris par une demande insistante, un cliché, qui finissait pour toujours enregistré dans ma mémoire. Ici, des garçons syriens, exhibent une étrange simplicité et une beauté silencieuse. Avec le temps, j’ai compris que même s’ils vivaient des difficultés permanentes, c’était ce sentiment d’un profond espoir, la source de leur empathie, leur joie.  


Encore aujourd’hui, plus d’un million et demi de réfugié·es, vivent dans ce petit pays qu’est le Liban. Selon les Nations Unies, en 2021, “la grande majorité des réfugiés ont continué à recourir à des méthodes de survie informelles, telles que mendier, emprunter de l’argent, ne pas envoyer leurs enfants à l’école, réduire les dépenses de santé ou ne pas payer le loyer.”

Parfois traversant un fleuve
Nous nous voyons dans une autre époque
Parfois, fixant un miroir
Nous nous voyons dans la prison
Parfois harponnant une femme
Nous nous voyons dans l’exil
Parfois lisant des poèmes
Nous nous voyons dans la prose.


Savez-vous ce que nous devons faire ?

Fadhil al-Azzawi

Naître est venir au monde ; quitter le monde est disparaître. La vie requiert un monde. La mort n’est pas la séparation de l’esprit et du corps mais la séparation du corps et du monde. Pour qu’un être naisse, il faut qu’un monde l’accueille : l’être jeté hors de soi dans le monde a besoin d’un monde auquel il advienne. Mais comment le monde est-il, lui, advenu ? Comment est-il venu à lui ? Il est né des migrations, des exils et des transgressions qui ont donné naissances aux pays, aux frontières, et aux peuples qui les habitent.

Étienne Tassin

Dans le grand départ je t’aime plus encore.
Sous peu
Tu refermeras la ville. Je n’ai pas de cœur dans tes mains, et pas
De chemin qui me porte. Dans le grand départ je t’aime plus encore.
Notre grenadier après toi a perdu sa sève. Plus légers les palmiers
Plus légères les collines et nos rues dans le crépuscule
Et la terre qui dit adieu à sa terre. Plus légers les mots
Et les contes sur les marches de la nuit. Mais mon cœur est lourd
Laisse-le là, qui hurle autour de ta maison et pleure les beaux jours
Je n’ai d’autre patrie que lui. Dans le grand départ je t’aime plus encore.

Mahmoud Darwich

C’est quand on peut vivre l’expérience d’être dans un camp de réfugié·es dans un pays comme le Liban ou la Turquie, qu’on devient conscient de la manière atroce avec laquelle on accueille des réfugié·es, et qui révèle certains phénomènes politiques étranges. Le Liban est un pays 50 fois plus petit que la France, et le PIB du Liban est 80 fois inférieur, pour une population d’environ 7 millions d’habitants. La capacité de la France à accueillir des réfugié·es n’est limitée que par sa capacité à être moins raciste et xénophobe, car la richesse pour le faire, il y en a. Actuellement, la France accueille à peine plus de 300 000 réfugié·es de différentes nationalités. En Allemagne, rien qu’entre 2015 et 2019, 1,5 millions de migrant·es ont effectué une demande d’asile. Plus de trois-quarts, ont aujourd’hui une vie stable.

Mettez-vous en route, s’il est encore possible de partir. Emportez la blancheur des
murs, le cuivre des pots et les silences de la promenade dans les allées. Emportez les
visiteurs de l’ennui, les envies aveugles et l’argent factice des rires. Je suis guéri de
ma tristesse et j’ai enterré ses cendres sous le gravier.

Bassam Hajjar

Les femmes sont celles qui souffrent le plus. La culture arabe, est très conservatrice et protectrice vis-a-vis des femmes. Par conséquent, rares sont les femmes qui arrivent à trouver du travail. Normalement, elles restent enfermées dans les camps de réfugié·es, à s’occuper de la maison et des enfants, pendant que les hommes et les jeunes femmes et garçons, qui plus facilement sortent, essayent à tout pris de trouver des petits boulots.

En termes de droits, les réfugié·es sont vraiment lésés, une grande majorité est soumise à des lois discriminatoires, déjà appliquées aux Palestinien·nes, qui les privent de leur droit de posséder des biens immobiliers ou d’en hériter. Selon l’Amnesty International, dans son rapport de 2020, l’État Libanais ne leur permet pas d’accéder à l’enseignement public ni aux services publics de santé et les empêchait d’exercer 36 professions au moins.

Malgré les rapatriements “parfois forcés” vers la Syrie, et une critique croissante envers les réfugié·es syrien·nes par des Libanais, “il existe au Liban une réelle expression de solidarité envers les réfugiés, le Liban étant à cet égard le pays le plus accueillant au monde, a-t-il été observé à l’occasion de l’examen, par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale”. Une réalité, également partagée sur le terrain, car les enfants et les femmes, qui sont les plus exposé·es aux violences, partagent souvent une joie, que toutes les “contraintes” de la vie n’arrivent pas à effacer.

D’après le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR), plus de 60 000 enfants syriens sont nés au Liban depuis le début de la guerre en Syrie, “Le Liban accueille 660 000 enfants syriens réfugiés en âge d’être scolarisés, mais 30 % d’entre eux – soit 200 000 enfants – ne sont jamais allés à l’école, a constaté une étude de l’ONU en 2021, et près de 60 % n’étaient pas scolarisés ces dernières années”.

Dans un monde où « la debrouille » touche tous les âges, les enfants sont aussi obligés d’improviser. En plus d’un manque de nourriture répondant pleinement à leurs besoins, le manque de jouets se fait sentir pour les enfants réfugiés. Dans la vraie mesure des mots, quand on voit des enfants jouer avec de vieux pneus, des ballons de fut en papier ou de simples cailloux, on peut être submergé par une vague de sentiments contradictoires. La beauté de l’ingéniosité humaine et la tristesse de la réalité des inégalités dans le monde. Révoltant.

Depuis quelques années, la situation des réfugiés du Liban s’est aggravée. À l’instabilité politique quasi permanente s’ajoute une géopolitique qui ne favorise pas l’aide aux réfugiés. En désespoir de cause, et sans possibilité de retourner en Syrie, une petite partie des réfugiés qui ont de l’argent, se lancent dans une aventure qui pourrait leur coûter la vie pour entrer dans la forteresse européenne.

Le froid

Nous vivions dans notre pays en sécurité.
Puis nous avons été déplacés au Liban,
À cause de la guerre.
Je déteste l’hiver.
Quand nous étions assis dans la tente sous le froid rigoureux,
Que la tempête battait le tissu produisant des éclats terrifiants,
Chaque jour, mon père s’en allait ramasser du bois
Et des bouts de cartons pour nous réchauffer.
En Syrie, jamais nous n’avions froid et n’entendions ces bruits.
J’aimais l’hiver, mais maintenant je ne l’aime plus.
L’hiver dernier, des enfants sont morts de froid.
Cet hiver, j’ai peur de mourir moi-même,
Ou l’un de mes frères et sœurs ou amis.
Mon Dieu, ramène-nous dans notre pays, la Syrie,
Afin d’y vivre en sécurité et bien au chaud.

FATIMA AL-TAMER
Idlib – 10 ans







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