Ce lundi 7 octobre 2019, la mairie de Montpellier s’était mise sur son 31 pour procéder en grande pompe à l’ouverture du 5ème sommet du “Pacte de Milan“, que la ville a signé dès sa création en 2015. Ce pacte “écolo-politique” qui s’articule sur une gigantesque opération de communication engage les 200 villes qui l’ont signé à déployer tous leurs efforts pour garantir aux citoyens une alimentation saine et durable.
Une manifestation, qui a été perturbée par une action menée par les groupes Extinction Rébellion et ANV-Cop21, qui participent actuellement à la Rébellion Internationale d’Octobre (RIO) qui prévoit deux semaines d’actions de désobéissance civile. Un jeune agriculteur, initialement invité par la ville, a pu lire un texte qui dénonce l’inaction politique face à l’urgence climatique et l’urbanisation à marche forcée de nos territoires, tandis que des militants écologistes brandissaient des bannières.
L’écologie, un coup de com’ inévitable
Philippe Saurel a depuis longtemps compris que l’écologie représentait une thématique majeure en politique, et qu’il lui fallait couver sa base électorale, dont la place socio-économique et le mode de vie traversent ces sujets. Ne voit-on pas dans le centre-ville de Montpellier, fleurir les magasins bio en circuit court, de la petite épicerie paysanne à la biocoop ? Sur le plan culturel, les questions du développement durable, du commerce équitable ou de la qualité de vie ont trouvé leur place à travers une myriade d’événements tous plus mercantiles les uns que les autres : le Family Piknik (qui utilise un système cashless pour les paiements sur site, en partenariat avec le groupe bancaire Natixis…), le Wild Summer Fest (véritable pompe à fric à ciel ouvert, installée sur les berges du Lez), les Estivales…
Afin de profiter politiquement de ce vent nouveau, et alors que son potentiel rival écolo Jean-Louis Roumégas bombe le torse, fort des résultats d’EELV aux Européennes, M. Saurel et sa majorité multiplient les coups de com’ et les effets d’annonce. La ville a ainsi annoncé construire ses cuisines centrales au sein du marché-gare, sorte de Rungis local, une drôle de façon de considérer ce que devrait être le “circuit-court”. De même, elle prévoit d’atteindre 50% de nourriture bio dans les cantines scolaires en 2020… Moitié moins de pesticides et de perturbateurs endocriniens dans les assiettes de nos enfants, c’est déjà pas si mal ! Ils ne seront donc qu’à moitié empoisonnés.
La métropole, peut-être par cet élan d’enthousiasme qui caractérise l’innocence des néo-convaincus, multiplie donc les initiatives. Elle lance courant 2019 le site très léché, BoCal (du bon et du local…) censé se consacrer à la question de l’alimentation mais qui est surtout une carte googlemaps recensant les différents producteurs en agroécologie du département. La démarche est présentée en seulement une dizaine de lignes. Le site ne fait en revanche pas l’économie d’un blog destiné à relayer toutes les initiatives fort productives de la mairie.
Beaucoup de communication pour pas grand chose, un art que maîtrise particulièrement Philippe Saurel quand il s’agit de vanter les mérites de Montpellier sur la place internationale. Aussi fallait-il absolument que la ville lance sa propre charte pour la transition agroécologique et l’alimentation durable. Celle-ci, sans acter aucune mesure concrète, tâche en fait d’apprendre au citoyen ce qu’est l’agroécologie et quels grands fondements pourraient présider à une alimentation plus durable…
Saurel, plus écolo que les écolo…
Comme pour l’initiative BoCal, on nous sert un discours lénifiant, simpliste et qui n’oublie bien sûr pas de faire place belle au “consom’acteur“. On est vraiment dans cette vision néolibérale qui souhaite réconcilier la nature avec la croissance économique et s’acharne à dédiaboliser l’empreinte de celle-ci sur la planète, en promouvant le capitalisme vert et ses wagons de novlangue. Vous voulez de la nourriture et un art de vivre plus sains ? Pas de problème, mais surtout, n’arrêtez pas de payer pour !
Ce qui est assez marquant, c’est de constater tout ce qui n’est alors pas fait. Développer une politique réellement ambitieuse de jardins et potagers partagés ? Distribuer des semences ? Encourager le compostage ou le lombricompostage en appartement ? Mettre en place, comme le réclament des associations depuis des années, un véritable plan d’aménagement pour les cyclistes ? Avoir un cahier des charges écologique plus contraignant concernant les immenses projets de promotion immobilière, qui s’abattent sur la ville et ses consoeurs de la métropole comme la petite vérole sur le bas-clergé avec la complicité bienveillante de la majorité ?
Celle-ci ne manque pourtant pas d’idées. Les montpelliérains ont ainsi, et sous certaines conditions, désormais le droit de faire pousser des plantes devant chez eux. Des micro-potagers ont été installés dans plusieurs parcs, fournissant à l’heureuse population élue, une énorme vingtaine de mètres carrés cultivables…Le grand projet de réserve de verdure au parc Montcalm a été transformé en énorme bassin de rétention, pour suffire aux besoins des ensembles immobiliers adjacents. Tant d’actions dont la radicalité écologique détonne dans le paysage politique français…
Cet été, une action d’Extinction Rébellion venait titiller la métropole sur son prétendu engagement écologique, en singeant sa communication à travers une fausse annonce “d’état d’urgence climatique” diffusée dans des vitrines publicitaires (voir notre article). Avec un cynisme politique déconcertant, le conseil municipal déclarait la ville en “état d’urgence climatique” une dizaine de jours après seulement, et annonçait la création d’un fonds d’urgence pour orienter les investissements vers la transition écologique, et d’une assemblée citoyenne pour le climat.
Quelques jours plus tard, l’humaniste Philippe Saurel annonçait la proclamation de son Manifeste de Montpellier, pour une ville écologique et humaniste. L’édile, qui n’oublie jamais d’être sur la photo, confie dans un entretien les progrès durables réalisés dans son propre mode de vie : “Personnellement, je trie. J’essaye de privilégier la marche à pied. J’évite le plastique et je prends le réflexe d’utiliser des ustensiles recyclables. Je m’adapte mais j’ai des progrès à faire. En tant que maire, j’ai révisé mes processus de réflexion. Lorsque je regarde le Lez, fleuve qui traverse la ville, je le perçois sous tous ses aspects. Cela n’était pas vrai avant.” Des bienfaits de l’écologie en pleine conscience…
Un discours flou et peu ambitieux
Au delà de la personne du maire, le manifeste apparaît comme globalement frileux, et s’aligne sur les 17 objectifs définis par l’ONU concernant le développement durable. Il est surtout une opération de communication, qui vante l’art de vivre à la montpelliéraine et égrène tout de même quelques idées pétries d’ambition. Sur le logement par exemple, la ville s’engage à “promouvoir la densité tout en permettant aux habitants d’accéder aux ressources environnementales (ensoleillement, ciel, végétation…)“, à “favoriser la ventilation naturelle [des bâtiments], avec une orientation nord/sud pour éviter le soleil chaud et rasant de début et fin de journée en été“, ” à favoriser un espace disponible suffisant, essentiel à la qualité d’habitabilité et indispensable à l’équilibre des occupants. La pièce commune (cuisine, salon) est le lieu où nous vivons, échangeons et partageons le plus. Assurer un minimum de surface en fonction de la taille du logement favorise une vie apaisée et évite les conflits d’usage.” En gros, Montpellier s’engage à ne pas parquer sa population dans des cages à lapin mal isolées et construites en dépit du bon sens. C’est déjà ça. Mais on n’oubliera surtout pas d’associer les promoteurs et aménageurs au développement de l’écologie, ce serait trop dommage de protéger la ville de leur voracité…
Pour limiter l’étalement urbain qui ronge le foncier agricole autour et dans la ville, celle-ci se contente de mesures concernant la… gestion des déchets de chantier, principalement. Question logistique urbaine, la municipalité considère de bon aloi d’encourager le développement des livraisons à vélo, qu’elle semble considérer comme une pratique écolo, fermant les yeux sur l’exploitation économique sur laquelle se base ce système. La mairie promet par ailleurs un Plan Logement d’Abord, censé proposer un “renversement de logique dans l’accès au logement, notamment pour les personnes sans abris, en permettant l’accès à un logement comme préalable à toute démarche“. Avec plusieurs milliers de personnes dans les rues de Montpellier, et des expulsions de squats pourtant régulières, il est permis de douter des capacités ou même de la volonté de la mairie d’exaucer une telle promesse. Un arrêté anti-mendicité a par exemple très récemment été prolongé sur certaines places du centre-ville, et appliqué par la police municipale.
On a ensuite droit à un bel exercice de langue de bois concernant les aspects plus écologiques du plan. La Métropole s’engage ainsi à préserver deux tiers du territoire en espaces agricoles ou écologiques. Est-ce à dire qu’un tiers sera voué à l’urbanisation ? Pour le reste, en gros, on va planter des arbres et faire des façades et toits végétaux, garantir l’accès à l’eau, et lutter contre les incendies et les épisodes cévenols. Tout cet amas rhétorique est bien sympathique mais semble loin de préserver la ville de son développement à marche forcée.
Entre cynisme et hypocrisie, la ville paie le prix fort
Que dire de la réduction des inégalités au bénéfice de la mixité sociale, dans une ville où les quartiers populaires qu’on a laissé pourrir pendant des années (Figuerolles, Gare) se gentrifient à marche forcée et s’incrustent désormais dans la jolie carte postale qu’on nous vend depuis trente ans à Montpellier ? Les questions écologiques et climatiques, par la nécessité d’une survie commune à tous les êtres humains, soulèvent celles de l’égalité, de la solidarité et du vivre ensemble. Tant de notions dont les politiques aux aguets n’ont pas tardé à agrémenter leurs éléments de langage, qui voient peut-être d’un mauvais oeil la montée en puissance du municipalisme et la remise en question des caciques, même sur le plan local. Ce sont pourtant des valeurs humaines fondamentales qui semblent leur échapper, dans l’aveuglement électoraliste qui caractérise le sommet de la pyramide politique.
Montpellier n’a pas attendu l’avènement de Philippe Saurel pour s’intéresser à la question écologique, puisque son université et ses nombreux pôles de recherche (CNRS, INRA, CIRAD) font depuis longtemps la renommée de la ville dans le milieu scientifique. Pour autant, celle-ci n’a pu éviter à notre territoire une bétonisation croissante, menée grand train depuis l’ère Frêche, et que l’édile actuel montpelliérain n’a aucunement entravée, tout comme grand nombre de ses confrères de l’agglomération, devenue depuis métropole.
Au contraire, la révision du SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale), menée tambour battant dès 2015 par la Métropole dans le but de “préserver et valoriser l’exceptionnelle richesse environnementale“, consacre pour la période 2018 – 2030, plus de 1500ha (15km carrés) à l’extension urbaine sur son territoire, dont les trois quarts sur des espaces naturels ou agricoles. C’est près de 50% de plus que ce qui a déjà été réalisé sur la période 2006 – 2018. Difficile de proclamer que la préservation de la biodiversité et du territoire est l’une des priorités de la métropole.
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