Nommée au mois de juillet dernier pour succéder à Jacques Toubon, la Défenseure des Droits Claire Hédon, journaliste de formation, vient d’apporter ses observations sur la proposition de Loi de Sécurité Globale débattue à l’Assemblée Nationale, et qui fait très largement débat notamment à cause de son article 24 qui viendra mettre en danger la liberté de la presse.
Lire aussi – Loi de Sécurité Globale, article 24 : la République éborgnée
Dans un avis rendu ce jeudi 5 novembre, Claire Hédon alerte sur des risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux, et notamment au droit à la vie privée et à la liberté d’information. “Elle est particulièrement préoccupée par les restrictions envisagées concernant la diffusion des images des agents des forces de sécurité dans l’exercice de leur fonction. Elle demande à ce que ne soient, à l’occasion de ce texte, entravés ni la liberté de la presse, ni le droit à l’information” considérant que “l’information du public et la publication d’images relatives aux interventions de police sont légitimes et nécessaires au fonctionnement démocratique” comme à l’exercice de ses propres missions en tant que Défenseure des Droits.
Pour rappel, l’article 24 de cette proposition de loi notamment soutenue par l’ancien patron du RAID Jean-Michel Fauvergue et l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, émettait l’interdiction de diffuser publiquement l’image des forces de l’ordre pendant leurs missions. Une mesure, qui sur le papier n’empêcherait pas nécessairement la prise d’images, mais viendrait criminaliser l’exercice de la liberté d’information en laissant la possibilité à la police d’intervenir préventivement contre les preneurs d’images, donnant ensuite au parquet et aux juges la possibilité de judiciariser ou non la pratique. Ce qui constituerait en soi une possible entrave permanente au métier de reporter de terrain, comme aux personnes retransmettant des événements en direct avec leurs téléphones portables.
Lire aussi : “Dégage ou je t’embarque” : filmer la police est un droit
La diffusion d’images des forces de l’ordre resterait possible si celles-ci étaient exemptes de tout élément d’identification susceptible de nuire aux fonctionnaires concernés, ce qui rendrait le travail journalistique très fastidieux et empêcherait la diffusion rapide d’images de violences policières et donc leur médiatisation conséquente.
Par ailleurs, il se trouve que les policiers du maintien de l’ordre ont souvent cette fâcheuse tendance d’organiser par eux-mêmes, en dépit de la Loi, l’impossibilité de les identifier, en masquant de manière systématique leur matricule d’identification RIO et en cagoulant tout ou partie de leurs visages. Des pratiques que nous avons renseignées à de nombreuses reprises en couvrant des manifestations à Montpellier, Paris et d’autres villes de France.
Lire aussi : Pourquoi flouter les policiers pose un problème “démocratique” ?
Par ailleurs, la Défenseure des Droits alerte sur d’autres mesures envisagées par le projet de loi comme étant susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux. “La possibilité pour les policiers municipaux et les agents de la ville de Paris de consulter les images de vidéo protection – habilitation jusque là strictement encadrée – porterait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée.” Cette disposition donnant la possibilité d’une identification des personnes serait ainsi contraire au droit européen comme aux obligations constitutionnelles de la France.
De même, l’exploitation en temps réel des caméras piétons des policiers, particulièrement envisagée dans le cadre des manifestations à des fins d’identification des manifestants bien plus que des auteurs des violences policières, énoncée sans objectifs concrets dans le texte de loi, serait par nature contraire au droit à la vie privée.
Enfin, “le recours aux drones comme outil de surveillance ne présente pas les garanties suffisantes pour préserver la vie privée. En effet, les drones permettent une surveillance très étendue et particulièrement intrusive, contribuant à la collecte massive et indistincte de données à caractère personnel.” Pour rappel, la police utilise déjà illégalement ses drones en matière de surveillance de la voie publique et notamment dans les cadres de manifestations, ce qu’est venu récemment rappeler la Quadrature du Net, preuves à l’appui.
Lire : A Paris, la préfecture de police continue d’utiliser ses drones en toute illégalité
C’est donc un positionnement très fort de la nouvelle Défenseure des Droits à l’égard d’une loi liberticide nous plongeant toujours plus dans un État policier, et pourtant soutenue à bras le corps par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Comme en son temps Christophe Castaner, qui avait lui aussi défendu l’obligation de flouter les policiers en exercice, le positionnement du nouveau ministre s’apparente plus à un coup de com’ en direction des syndicats policiers, larges soutiens de ces dispositions liberticides, eu égard au caractère anticonstitutionnel d’un tel projet de loi. Pour autant, cela n’empêche en rien ces mesures de faire régulièrement leur apparition dans l’espace public et à plus forte raison depuis que les affaires de violences policières se multiplient…
Lire aussi (mai 2020) : Les Républicains veulent enterrer la liberté d’observer pour “protéger les forces de l’ordre”
La Mule est un média libre et indépendant, financé par ses lectrices et lecteurs. Votre soutien est déterminant pour la poursuite de notre action, totalement bénévole, qui vise à documenter les multiples luttes locales dans la région de Montpellier - et parfois au-delà - et à interroger les rapports entre le pouvoir politique et la population. Face au monopole de groupes de presse détenus par des milliardaires, la Mule défend une information libre, apartisane et engagée, déliée de la question économique. L'accès à notre site est ainsi totalement gratuit et sans publicités. |
|
Je soutiens la Mule par un don ou un abonnement à prix libre ! |