Entre la réalité et la fiction.
Aujourd’hui, nous sommes quotidiennement surpris par certaines des informations qui courent le pays. Parfois, nous pensons même spontanément qu’il s’agit de fakenews, des facéties de ces faux-médias ironiques comme le Gorafi, ou de mauvaises blagues, n’ayant rien à voir avec la réalité. Le livre 1984 (Nineteen Eighty-Four) roman de George Orwell est publié en 1949, quatre ans après la fin des atrocités du nazisme. Le roman deviendra une référence pour tous·tes les amateur·ices de dystopies et de la sci-fi noir. Orwell nous submerge dans un avenir perturbé, modelé par un régime policier et totalitaire. Il évoque une Europe qui, ayant subi une guerre nucléaire, voit un monde divisé en trois blocs. La Grande-Bretagne, pour survivre à la décadence de la vie d’avant, plonge dans une société austère, technocratique et fasciste. Le travail, l’effort collectif, devient la colle, le mortier, d’une cohésion sociale à forger à tout prix.
Dans cette nation flic, où la police est partout, où l’idéologie déborde, la novlangue (Newspeach) régit la pensée unique. La liberté d’expression s’évanouit face à la surveillance massive, à la propagande d’État étouffante.
A l’heure qu’il est, en France, il n’y a pas eu de guerre nucléaire sur le territoire. Néanmoins, une guerre idéologique se pose insidieusement sur nos épaules. De nombreuses personnes ont peur d’utiliser le mot Fascisme ou État policier, pour caractériser le tournant sécuritaire qui a envahi la France au cours des vingt dernières années.
Les partis politiques, dits de droite ou de gauche semblent partager, chacun à sa manière, les mêmes reflets racistes, xénophobes et machistes. Une réalité qui nous embrasse jour après jour, difficile à saisir, remplie de violences qui se déguisent, de violences qui s’imposent, de comportements fascistes et fascisants.
Sur les réseaux sociaux, les violences d’État, les violences policières, tournent en boucle. Face à cette réalité dilacérée, on cherche nos mots… Démunis, car on ne veut pas y croire, on trouve appui dans les dictionnaires qui nous délivrent leurs définitions, leurs notions. Voici pour celle d’un “État policier” :
– un pays dans lequel le gouvernement utilise la police pour limiter la liberté de circulation, manifestation, expression, etc.
– utilisation des forces de police pour réprimer les opposants politiques.
– exercer son pouvoir de manière autoritaire et arbitraire.
– l’expression des opinions politiques, est contrôlée par le gouvernement, avec l’aide de la police.
– surveillance de masse, création massive de fichiers de police.
Sur Mediapart, Bernard Lamizet dans son billet “Les signes d’un État policier” rajoute deux définitions très intéressantes : “Quand Max Weber explique que ce qui définit l’état est « le monopole de la violence légitime »[2], il articule bien la violence à la légitimité. C’est même la nature de la légitimité dont il dispose qui définit l’identité politique de l’État. Un État policier est un état dont la puissance se fonde sur la force violente de la police. Mais, si l’absence d’autorité de contrôle indépendante d’elle est un premier signe de la puissance policière, il en existe deux autres que l’on peut relever dans notre pays, aujourd’hui. Le premier est le fait que la police n’est pas soumise à une obligation d’informer. Le silence est probablement un des signes majeurs de la puissance policière, dans tous les pays dans lesquels elle s’exerce. L’autre signe de la puissance policière est son étendue dans l’espace. Un état policier est un état dans lequel la police de l’État est partout, est visible partout, et, en particulier, s’impose aux pouvoirs locaux, aux autorités des collectivités territoriales, villes, départements, régions.”
La réalité des interdictions de manifester est là. La réalité des milliers de blessé·es par la police est là. La réalité des arrestations arbitraires, des convocations immédiates, des États d’urgence désormais inscrits dans la loi, de la répression sur les pompiers, les corps infirmiers ou syndicalistes, est là. Que manque-t-il encore pour y voir que nous vivons progressivement dans un système qui se durcit, un État qui devient policier, voire totalitariste ?
Fabriquer le consentement.
Un manque de vocabulaire semble laisser historiens et experts en sciences linguistiques ou politiques sans imagination, sans capacité à caractériser la réalité qui se déroule actuellement. À l’évidence d’un État policier qui se met doucement en place, se rajoutent la chasse aux migrants, aux personnes racisées, l’islamophobie, le dénigrement du féminisme, le repli identitaire, le nationalisme, etc.
Les valeurs imprimées et respectées dans la société sont de plus en plus le produit des médias de masse. Un pouvoir à ne pas négliger que celui de transmettre une information, et concentré dans ces médias qui sont entre les mains d’une poignée d’individus, et qui font partie d’un réseau d’intérêts partagés entre la classe dirigeante et le monde des affaires, la finance, etc. Dans ce monde médiatique, ressortent des mécanismes anciennement appelés fascistes. Les médias agissent comme un véritable instrument de propagande étatique, qui minimise et justifie la violence de l’État, la violence de la police, la violence du travail.
Les médias de masse agissent ainsi dans l’intérêt de ceux qui les possèdent, façonnent la démocratie à leurs intérêts et forgent le consentement social à la “nécessité de la violence quotidienne”. Sans exagérer, on peut légitimement s’inquiéter et se demander si nous ne nous trouvons pas dans l’anti-chambre d’un nouveau fascisme.
«Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé»
La guerre c’est la paix,
la liberté c’est l’esclavage,
l’ignorance c’est la force.
Pour l’extrême-droite, le fascisme n’existe plus. Au-delà d’une rhétorique partisane qui se dit au service d’une “France aux Français“, se dévoile une sémantique spectaculaire pour cacher ses propres idéologies fascistes: le racisme, l’homophobie, le souhait d’une police surarmée, d’une France nationaliste isolée par ses frontières.
Malgré l’acharnement des partis d’extrême-droite, le devoir de mémoire prévaut. Le passé collectif, notre histoire, les rattrape, et d’autres plus sages, alertent sur le fait que nous allons vers une société qui se déshumanise, et semble tomber dans Le piège de l’oubli.
Aujourd’hui, c’est au sein des partis politiques « apparemment démocratiques » et « populistes » que l’apologie du racisme, de l’islamophobie, de l’homophobie, se propagent sans que nous ne puissions rien y faire, car nous vivons dans une démocratie partite, où la masse fait loi. Même si un comparatif abrupt peut paraître de l’ordre de l’exagération, les méthodes de propagande utilisées par Hitler ou Mussolini pour conduire les populations dans l’abîme du racisme, de l’antisémitisme et des “phobies”, sont réapparues à une vitesse spectaculaire à partir des années 2000, dans les partis politiques d’extrême droite européens.
L’historien Frédéric Le Moal dans une interview au Figaro, ne cache pas son affection à ce qu’il appelle la révolution sociale fasciste. Le Moal ironise sur l’antifascisme, comme s’il était aujourd’hui une lutte devenue obsolète.
“Je dirais qu’il n’y a jamais eu autant d’antifascistes depuis que le fascisme a disparu. Plus sérieusement, je considère que le fascisme est mort en tant qu’idéologie de masse”.
Souvent, le fascisme est présenté comme une idéologie de masse, une évidence bien sur, mais une diffusion en soi très trompeuse, qui nous invite à penser que le fascisme fut accueilli en toute liberté par une grosse partie d’une population donnée (Italie, Espagne, Portugal, Amérique du Sud, etc.). Avant de posséder un caractère massif, le fascisme débute par l’affiliation notamment des classes dirigeantes et possédantes à l’idéologie, puis se développe par une propagande intensive qui en plongeant la population dans la peur ou le rejet, va permettre l’émergence d’un État policier. En ce moment ne peut-on postuler que sont en train d’être mis en place ces facteurs “indiscutables”, qui fabriquent le consentement de la population à l’adhésion générale au fascisme ?
Les fascismes italien, espagnol ou portugais, avec toutes leurs différences et similitudes, ne deviennent pas des idéologies de masse parce qu’ils convainquent les consciences de leur utilité, mais plutôt parce qu’ils profitent d’un manque d’éducation et de conscience politique massif pré-existant dans les populations, puis ils s’érigent à coups de rafles et par l’anéantissement violent de toute opposition politique et sociale. La peur se généralise et la population se soumet.
Penser le fascisme comme un impromptu “historique”, qui ne pouvait exister sans la menace communiste ou des circonstances sociales très précises n’existant que dans les années 20-30, reflète une analyse vidée de continuité historique, car ces mêmes difficultés “mutées” sont aujourd’hui présentes dans notre société. Thèse, soutenue par plusieurs érudits, philosophes, et historien·nes dans le monde. Entre eux: Jason Stanley, Rob Riemen, Angelo Del Boca, Umberto Eco, etc.
A l’image du “Meilleur des mondes” de Huxley, la novlangue néolibérale, rapproche le travailleur de l’essence capitaliste, comme si c’était là une symbiose intrinsèquement naturelle. Les violences contre les populations dissidentes (qui se répandent de plus en plus dans la société) sont toujours défendues et mis en avant leur caractère légitime au profit de la sécurité de la république. Une sémantique qui a énormément envahi l’espace public au cours de la Cinquième République de Sarkozy, Hollande et Macron.
Frédéric Le Moal est convaincu qu’il “est plus facile d’insulter de fasciste un adversaire que de réfléchir à son idéologie”. Notable jeu de mots. Une articulation sémantique qui résume les antifascistes à l’idée d’incompétence et de préjugé. Incapables de discerner les racistes des racistes. Les homophobes des homophobes. Etc.
Paris – 2020
La Nation Flic – une série d’enquêtes.
Un nouveau monde s’impose, mais malheureusement ce n’est pas le monde de tous pour tous. C’est un monde où l’oligarchie surpuissante, renforce ses pouvoirs d’oppression. C’est un “nouveau monde” où la police ne parvient pas à défendre les intérêts de la population et s’investit dans la défense des intérêts des élites, des entreprises, de la marchandise, des finances.
C’est un monde où le terrorisme à tué entre 1979 et 2019, 317 personnes en France. La vague subie depuis l’implication militaire récente de la France au Moyen-Orient et liée principalement à Al-Qaeda et Daesh, représente une vaste majorité de ces pertes, mais qui ne sont pas comparables aux dégâts que nos troupes font sur les terrains du Sahel y compris parmi les populations civiles. Parallèlement, la médiatisation nous cache ces dernières et survisibilise les actes terroristes sur notre sol, y compris lorsqu’ils sont déjoués. Les gouvernements s’élèvent systématiquement comme des sauveurs face à la menace djihadiste et au “séparatisme” des banlieues, pour nous imposer une État d’urgence permanent. Le plan VIGIPIRATE était la première pierre de cette longue mise en place d’un vaste arsenal sécuritaire.
C’est pourtant un monde où 676 personnes sont décédés suite à des interventions policières depuis 1977, et où les gouvernements s’élèvent pour nous protéger non pas de cette violence, mais bien imposer un maintien de l’ordre à la Française à coups de LBD, grenades, et autres avancées législatives comme le gadget de la loi anti-casseurs, et ce, pour notre bien aimée sécurité.
The futur is now (1955), et derrière l’impulsion des plaisirs immédiats de la vie, nous sommes fiché·es. ANACRIM, SALVAC CRISTINA, EDVIGE, ARIANE, NeoGend, NeoPol ou GendNotes sont quelques logiciels ou fichiers qui permettent aux autorités de mesurer le niveau de danger que puisse porter une personne à la sureté de la Nation.
Dans ce futur, qui est notre présent, les policiers, protégés par le “Big Brother“, rappellent les polices politiques d’avant, la P.I.D.E portugaise, la D.I.N.A chilienne ou la B.P.S de Franco en Espagne. Ils font leur travail de renseignement, ils répriment, ils font des arrestations politiques, mais aujourd’hui avec la technologie du futur, leurs ordinateurs, leurs cameras et leurs smartphones parfois personnels. Ils font des clichés “à volonté” des visages de manifestant·es comme d’acteurs de la presse ou des vidéastes. Traité·es comme des criminel·les, les dissident·es du système néolibéral, les syndicalistes, les activistes, la presse, tous finissent dans la mémoire virtuelle d’un iPhone, caché dans la poche d’un flic.
Voilà la réalité d’une police brutalisée, qui se dit de plus en plus «non létale» mais qui continue à oublier le matricule R.I.O à la maison. Des contrôles au faciès, du racisme, des insultes, des agressions se répandent mais en absence de R.I.O., ces actes finissent classés sans suite, car en civil et cagoulés, les agents impliqués sont bien sûr non identifiables.
Aujourd’hui, la France est dotée de l’un des arsenaux législatifs les plus sécuritaires et répressifs d’Europe. Le traitement du mouvement des gilets jaunes et de l’action militante démontre une complète latitude pour l’Exécutif dans le choix et la mise en place d’une répression à la fois policière et judiciaire. Mais comment est-on passé, même internationalement, de l’image d’une France pays (de la déclaration) des droits de l’Homme, à celle d’une France qui réprime, mutile et emprisonne ses opposants ?
Nous sommes déjà dans un monde à l’image de 1984. L‘instrumentalisation de la peur apparait comme la sauveuse des sociétés, un monde du Law and order (la Loi et l’Ordre, la dernière fulgurance politique de Donald Trump alors qu’il envoie les troupes fédérales réprimer durement le mouvement pacifique #BlackLivesMatter) au service de la collectivité.
Punir ou éduquer? Faut-il punir pour éduquer? Éduquer ou surveiller? Faut-il Surveiller et punir (Michel Foucault) ? Quizas ou Equilibrium (2002) serait le rêve des policiers ? La délation de tous par tous. Un état totalitariste où la police n’est plus le chien de garde de l’État : où la police est l’État, et où tous les coups de matraque se méritent, car “la vie est née dans la violence”.
Les historiens comme Roger Griffin ou Emilio Gentile, partagent l’avis que le fascisme n’existe plus. Car son existence, au-delà des facteurs économiques, sociaux et politiques, dépend de toute une série de signes, insignes, symboles, slogans, qui nourrissent l’imaginaire nationaliste et patriotique bien incarné par les anciennes dictatures européennes. Mais, que se passe t-il quand des policier·es francais·es se vantent de leurs tatouages nazis, de leurs symboles l’extrême droite?
La Nation flic n’apparait pas du jour au lendemain, elle se forge peu à peu, dans les petites lois scélérates, liberticides. La Nation flic, se construit dans l’imaginaire de ces députés qui envisagent une société policière dans laquelle les citoyen·nes ont bien plus de devoirs que de droits. La Nation flic existe dans une société qui envisage d’éliminer les droits plus élémentaires comme celui de filmer la police dans son action publique ou de manifester.
La Nation Flic, un reflet de l’histoire politique ?
Le fascisme en tant que système politique puise donc ses nombreuses racines à travers le substrat favorable que lui offre une élite cupide et aveugle, en usant de mécaniques de domination visant à réduire à l’incapacité les oppositions sociales au déroulement de leur idéologie économique et sociétale. Ce faisant, en induisant dans la société ces mécaniques fascisantes, elles favorisent le développement dans les esprits de la haine comme de la peur. La montée des idéologies extrêmes qui accompagnent ce phénomène crée les conditions du tournant fasciste.
Dans “L’étrange défaite”, paru en 1946 deux ans après son exécution par la Gestapo, l’historien et résistant Marc Bloch dépistait dans l’agonisante 3ème République tous les éléments identifiant une élite économico-politique déconnectée des réalités d’un État où les institutions sont déjà gangrénées par les collusions des hauts-fonctionnaires, et inaptes à exercer de manière effective sa présence au sein de la population. La Nation-Flic, c’est cet instant où face à la gronde sociale qui fait suite aux crises économiques dans les années 30, l’usage de la répression se généralise pour préserver les intérêts des élites européennes, extrémisant toujours plus le paysage politique.
Dans la crise nouvelle que représente la guerre, les gouvernants sont incapables d’assurer le fonctionnement correct de l’armée, du ravitaillement des troupes et de la population, jusqu’à la présence des alliés aux comportements pillards sur le territoire. En 1940, mettant fin à la “drôle de guerre”, en à peine plus d’un mois la campagne de France voit l’Allemagne nazie pulvériser les illusions des élites politiques et révéler le spectre d’un État-fantôme.
Bloch dénonce des syndicats petit-bourgeois, des politiciens corporatistes (Sciences-Po, Polytechnique, etc) qui méprisent le peuple, encourageant la dépolitisation et les divisions. Un fruit pourri, tout prêt à s’effondrer après les crises économiques précédentes, lors de la catastrophe de 1940, et offrir aux mains du fascisme la France et ses habitants.
Entre multiplication des crises, capitalisme débridé qui entraine la répression de la population, cécité des élites face au changement de paradigme nécessaire à la résilience des sociétés, collusions et gangrène dans l’appareil politique, médiatique, social, les points de comparaison sont nombreux entre la France de 1940 et celle d’aujourd’hui, et la montée des extrêmes partout en Europe aujourd’hui peut alerter sur la trajectoire que pourrait suivre notre société après un mandat Macron qui aura entériné le chaos social.
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